À 18h09 hier, au moment où le soir tombait doucement sur Paris, Eugenie Bouchard a rangé ses raquettes dans son sac, placé celui-ci sur son épaule et quitté le court Suzanne-Lenglen, battue net et sec dès le premier tour de Roland-Garros.

Pour la Montréalaise, la déroute est complète. Non seulement chutera-t-elle au classement de la WTA, risquant sa place au sein du top 10, mais les interrogations au sujet de son véritable potentiel surgiront avec une vigueur nouvelle.

Bouchard possède-t-elle les atouts pour s'imposer au sommet du tennis féminin? Son service est-il assez efficace pour gagner un jour une manche du Grand Chelem et devenir numéro un mondiale, ses deux objectifs avoués? Ses performances lui permettront-elles de toucher le gros lot espéré sur le plan des commandites?

Une heure après le match, sûrement habitée de plusieurs doutes, Bouchard s'est présentée en salle de presse, digne, mais ébranlée. La jeune Montréalaise vit un cauchemar sportif inattendu.

Lorsque je lui ai demandé si elle s'attendait à pareille tournure des événements après avoir connu une saison 2014 si magique, sa réponse a été claire et directe.

«Non, je m'attendais à des résultats comme l'année dernière ou encore meilleurs, a-t-elle reconnu. Je réalise que ce n'est pas le cas. J'ai beaucoup appris ces temps-ci. J'ai appris à être patiente avec moi et mes résultats, car j'ai compris que je pouvais avoir des temps difficiles.»

Dans la vie, la déception est souvent fonction des attentes. Celles de Bouchard ayant été très élevées au début de la saison, on saisit facilement comment cet effondrement touche son moral.

Non, les choses ne devaient pas se dérouler ainsi. Après tout, n'est-elle pas, selon un avis répandu sur la planète tennis, la potentielle héritière de Maria Sharapova? Hélas, il est clair que Bouchard se situe encore très loin de ce niveau.

C'était d'ailleurs un peu triste de l'entendre reconnaître, d'une voix douce, le peu d'illusions qu'elle se faisait en arrivant à Paris. «Je n'avais pas d'attentes. Et je n'en ai pas davantage pour l'avenir prévisible. Je prendrai chaque jour un à la fois et tenterai de remonter lentement les échelons.»

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Cet exercice sera peut-être long. Car le jeu de Bouchard est manifestement déréglé.

Des exemples? Il y en a beaucoup! Aucune constance au service, déplacements latéraux trop lents, coups droits ratant parfois la cible de manière étonnante et choix stratégiques incertains. Hier, par exemple, elle a été incapable de résoudre le problème causé par les nombreux amortis de son adversaire, la sympathique Française Kristina Mladonevic.

Le pointage final de 6-4 et 6-4 ne donne pas une bonne idée de l'allure du match. Au premier set, Mladenovic s'est détachée de Bouchard après avoir créé l'égalité trois jeux partout. Et en deuxième manche, elle a pris une avance de 5-0.

C'est alors que Bouchard a connu ses meilleurs moments. Comme si, sachant que ses chances de victoire étaient maintenant minuscules, elle s'était permis de jouer à sa façon, sans trop penser aux conseils de son entraîneur Sam Sumyk.

D'ailleurs, après la rencontre, elle a eu ce commentaire significatif: «Je crois jouer mon meilleur tennis lorsque je suis plus instinctive sur le terrain. Je dois revenir à cette approche, me faire confiance, car je sais que je peux bien jouer.»

Il est troublant de constater à quel point le jeu de Bouchard a perdu de son mordant depuis que Sumyk est son entraîneur. Cette saison, elle a connu son meilleur tournoi aux Internationaux d'Australie, alors qu'elle était toujours à la recherche d'un successeur à Nick Saviano. Elle a atteint les quarts de finale en travaillant avec Diego Ayala, alors son partenaire d'entraînement, et longtemps un collaborateur de Saviano.

Est-il possible que Sumyk, un entraîneur renommé qui a mené Victoria Azarenka à la conquête de deux titres majeurs et au premier rang mondial, ne soit pas idéal pour elle? Qu'il n'arrive pas à trouver la bonne façon de solidifier et de faire progresser son jeu?

Dans une entrevue récente à mon collègue Michel Marois, Sumyk a dit ne pas croire qu'un psychologue sportif aiderait Bouchard. «Je pense avoir toujours été en mesure de fournir un soutien adéquat aux joueuses dans ce secteur», a-t-il déclaré.

Si c'est le cas, il devra se mettre à l'ouvrage dès aujourd'hui. Car la défaite d'hier laissera des traces profondes si Bouchard ne reprend pas bientôt foi en ses moyens. Après cet échec, elle a admis ne pas avoir été «aussi relaxe» qu'elle l'aurait souhaité sur le terrain, ajoutant ne pas s'y sentir «elle-même» depuis quelque temps.

Plus encore: ces déceptions qui s'enchaînent deviennent presque la norme. «Je suis très déçue de ma performance d'aujourd'hui. Je pense que c'est une constante depuis bien des semaines. C'est malencontreux.» Puis, Bouchard a ajouté, dans un bref élan d'optimisme: «Mais, vous savez, je suis sûre qu'un jour cela va cesser.»

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C'est malheureux, mais il est clair que les extraordinaires succès de Bouchard en 2014 reviennent aujourd'hui la hanter.

Cette rapide montée en grade (deux demi-finales et une finale de Grand Chelem) lui a fait croire trop vite qu'elle était au sommet de son sport. Elle lui a fait oublier qu'au-delà de ses réussites en Australie, à Roland-Garros et à Wimbledon, elle n'avait guère brillé dans les autres tournois.

Les dirigeants du tennis féminin ont vite fait d'elle une tête d'affiche et les agences de représentation ont livré bataille pour l'attirer dans leur écurie. Avec le recul, on peut croire que cette frénésie autour d'elle lui a fait perdre quelques repères. N'oublions pas qu'Eugenie Bouchard est encore très jeune.

À Paris, hier, la réalité l'a durement rattrapée. Le sport professionnel est un milieu implacable, où la concurrence est féroce. Rien n'est jamais acquis. Il faut toujours travailler et ne jamais perdre de vue l'essentiel: les résultats en compétition sont le seul et unique point d'ancrage d'une carrière. Tout le reste, comme la gloire et l'argent, en dépend.

Eugenie Bouchard apprend des leçons ces jours-ci. Elle le reconnaît elle-même. Mais comme chacun sait, on mesure le cran d'une personne à la manière dont elle affronte les inévitables pépins proposés par la vie.

Eugenie Bouchard réussira-t-elle à retrouver son meilleur niveau? Elle en a certainement les capacités, d'autant plus qu'elle amorce à peine sa carrière au premier niveau du tennis international. Les échecs d'aujourd'hui lui serviront peut-être demain, lorsqu'elle affrontera d'autres obstacles dans sa carrière.

«Je ne dois pas trop m'inquiéter, a-t-elle joliment ajouté. La vie est toujours belle. Tout le monde a des hauts et des bas dans sa carrière. Et j'en suis à un point bas.»

La saison sur gazon lui sera peut-être plus profitable. Mais avant de songer aux grands honneurs, Eugenie Bouchard doit d'abord reprendre confiance en son jeu. Et se fier de nouveau à cet extraordinaire instinct expliquant en partie son parcours de l'an dernier.

Pospisil pas à son mieux

À Roland-Garros, les vedettes du tennis donnent leur conférence de presse d'après-match dans la grande salle d'entrevue. Mais on trouve aussi de petits salons où les joueurs avec moins de notoriété rencontrent les représentants des médias: quatre ou cinq fauteuils à peine, pas de micros pour poser des questions ou y répondre, bref, une simplicité agréable.

C'est dans l'un d'eux que Vasek Pospisil a commenté son revers en trois sets d'hier aux dépens du Portugais Joao Sousa. «J'étais à 80% de mon potentiel, a dit le joueur canadien, qui parle un excellent français. Ma blessure à la cheville m'ennuie toujours. J'ai joué avec prudence tout le match. Je ne me sentais pas à mon aise. Et ce n'est pas ma surface préférée.»

Pospisil s'est blessé à Madrid au début du mois, atterrissant sur la cheville de son partenaire de double Jack Sock après avoir sauté pour frapper un revers. Une malchance de plus pour ce joueur souvent ennuyé par différents malaises.

Pospisil fait d'ailleurs une distinction intéressante entre une blessure véritable, qui l'empêche de jouer, et les douleurs qu'il ressent, que ce soit à l'épaule ou au dos. «Tous les joueurs en souffrent, à part Djokovic, peut-être...», a-t-il dit en riant, impressionné par la résistance physique du numéro un mondial.

Même s'il n'était pas au mieux, Pospisil ne voulait pas manquer Roland-Garros. Un tirage plus favorable lui aurait peut-être permis de gagner un match ou deux et d'engranger de précieux points au classement de l'ATP.

Sans compter les bourses, très alléchantes dans un tournoi du Grand Chelem. Atteindre le troisième tour, par exemple, vaut 85 000 euros. En étant éliminé dès le départ, Pospisil en a touché 27 000.

Pospisil et Sock participeront au tournoi en double, où ils sont les deuxièmes favoris derrière les frères Bryant.



Congédié après avoir tout gagné

On entend souvent que la pression de diriger le Canadien, dans un pays fou de hockey, est un phénomène unique. Cette opinion est excessive. Dans le sport international, certains postes sont plus exigeants sur ce plan.

Ainsi, cette semaine, le Real Madrid a congédié Carlo Ancelotti au terme d'une saison décevante. En revanche, au printemps dernier, l'entraîneur italien avait mené son équipe à la victoire en finale de la Ligue des champions, le titre le plus prestigieux sur le continent.

Le Real Madrid, dont la liste de paie est faramineuse, n'accepte pas facilement d'être supplanté par ses grands rivaux barcelonais, qui affronteront la Juventus de Turin en finale de la Ligue des champions, à Berlin, le 6 juin. Et Ancelotti, pourtant très populaire auprès de ses joueurs, en a payé le prix.

Ça, c'est de la pression.