Longtemps, le sujet des commotions cérébrales a été tabou. Les dirigeants n'en parlaient pas, les joueurs non plus. C'était leur petit secret. Et de toute façon, pour s'en plaindre, il fallait être un peu mauviette, croyait-on. Au cours d'une carrière, tout athlète finirait par «entendre des cloches» ou «voir des étoiles», pour reprendre les expressions consacrées. Cela faisait partie du métier.

Les tests pour les détecter étaient absurdes. Mike Ditka, qui fut à la fois joueur et entraîneur dans la NFL, a déjà raconté l'anecdote: «On levait une main devant nous en demandant combien de doigts on voyait. S'il y en avait trois et qu'on répondait deux, on jugeait qu'on était assez proche de la bonne réponse pour retourner au jeu...»

Puis, les choses ont commencé à changer. Lentement. Mais comme une pierre déboulant d'une montagne, plus moyen de les arrêter.

En 2002, Mike Webster, ex-pilier des Steelers de Pittsburgh, meurt dans un état de décrépitude physique à l'âge de 50 ans. Tous ces coups reçus sur les terrains ont affecté son équilibre corporel et moral. Des examens révèlent que son cerveau souffrait d'encéphalopathie traumatique chronique (ETC), un état voisin de la maladie d'Alzheimer.

En 2009, une parlementaire américaine compare le déni de la NFL face aux commotions cérébrales à celui de «Big Tobacco» envers le cancer du poumon. Être comparée à l'industrie du tabac cause un tort immense à l'image du circuit.

En janvier 2013, au moment du Super Bowl, Barack Obama, déclare au magazine The New Republic: «Je suis un gros fan de football. Mais si j'avais un garçon, j'y penserais longtemps avant de le laisser jouer.» Aux États-Unis, la déclaration du président fait du bruit. Et la NFL se retrouve de nouveau sur la défensive.

En septembre 2013, reconnaissant implicitement - mais non légalement - sa responsabilité face aux terribles problèmes de santé d'anciens joueurs victimes de commotions, la NFL verse une compensation de 765 millions dans le cadre d'un règlement à l'amiable.

En octobre 2013, la diffusion au réseau PBS d'un documentaire des frères Steve Fainaru et Mark Fainaru-Wada dévoile les efforts gigantesques consentis par la NFL pour camoufler le problème des commotions cérébrales au fil des ans. Ces révélations frappent l'imagination.

Un extrait de ce long reportage demeure brûlant d'actualité. Un médecin conscient des dangers causés par ces chocs au cerveau raconte comment un collègue associé à la NFL a voulu tempérer ses ardeurs à faire éclater la vérité: «Tu vois, si 10% des mères dans ce pays commencent à croire que le football est un sport dangereux, c'est la fin du football.»

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La fin du football, un sport aux assises économiques solides, n'est pas pour demain. Mais l'énorme nouvelle de cette semaine constitue un avertissement sérieux: il faudra en faire plus pour lutter contre ce fléau.

Cette fois, ce ne sont pas d'anciens joueurs ou leur famille qui actionnent la sonnette d'alarme. Mais une jeune vedette en pleine émergence, Chris Borland. Âgé de 24 ans, le secondeur des 49ers de San Francisco a annoncé sa retraite après une seule saison dans le circuit.

«Je fais simplement ce qu'il y a de mieux pour ma santé, a-t-il expliqué à ESPN. Mes recherches et mes expériences me disent que ça ne vaut pas le risque de continuer à jouer. [...] Je veux avoir une longue vie en santé, je ne veux pas de maladie neurologique ou mourir plus jeune que normalement.»

Borland est un jeune homme de son temps. Il n'a pas grandi à l'époque où les commotions cérébrales étaient méconnues. Il a pris connaissance du terrible sort de plusieurs de ses aînés, dont la qualité de vie a diminué après leur retraite. Il a été témoin du vif débat à propos des dangers du football. Il a réfléchi à toutes les composantes du problème avant d'abandonner son sport.

Plus révélateur encore: Borland a évalué que les revenus d'un footballeur professionnel, si élevés soient-ils, ne justifient pas ce risque à sa santé. Joueur recrue en 2014, il a touché près de 600 000$, un salaire qui aurait augmenté au fil des saisons. Il dit donc adieu à un gros lot potentiel de plusieurs millions.

La décision de Borland fera inévitablement réagir certains de ses contemporains. Et les «mères américaines», pour reprendre les mots du médecin associé à la NFL, en prendront aussi bonne note.

Un sondage de Bloomberg Politics révélait en décembre dernier que 50% des Américains ne voudraient pas que leur fils joue au football. Et à peine 17% des répondants estimaient que la popularité de ce sport augmenterait au fil des ans.

Voici la conclusion de Bloomberg Politics: «Les résultats démontrent qu'au fil du temps, le football pourrait connaître le sort de la boxe, un sport américain de premier plan au début du XXe siècle, dont la popularité a décliné dans des circonstances semblables: changements de perception à propos de sa brutalité et vedettes faisant la manchette pour des crimes violents.»

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Avez-vous lu la fascinante entrevue de Miguel Bujold avec Étienne Boulay dans notre numéro de mercredi? L'ancien des Alouettes soutient avoir subi des centaines de commotions cérébrales.

«Ma vision était floue pendant quelques secondes ou j'avais de petits maux de tête. [...] Je ne le disais pas aux entraîneurs ou aux soigneurs parce que je voulais continuer de jouer.»

Boulay devrait peut-être donner un coup de fil à Michaël Bournival pour le prévenir des dangers de cette attitude. Souffrant d'étourdissements, le jeune attaquant du Canadien aurait néanmoins disputé plusieurs matchs avant son renvoi à Hamilton le 2 mars.

Selon mon collègue Marc Antoine Godin, qui a dévoilé l'information, Bournival aurait «préféré taire ses symptômes aux médecins de l'équipe afin de continuer à s'afficher comme disponible».

Chris Borland a refusé ce genre de risque. Sa décision fera réfléchir beaucoup d'athlètes. La pierre n'a pas fini de débouler de la montagne.