Au bout du compte, Joey Saputo a gagné son pari. En dénonçant le mois dernier l'apathie des amateurs envers son équipe, il a provoqué une conversation nécessaire à propos de l'état du soccer professionnel chez nous.

Avec le recul, il est cependant clair que l'analyse du propriétaire de l'Impact était trop pessimiste. Si Montréal était un si mauvais marché de soccer, 38 000 personnes n'auraient pas assisté au formidable match de mardi, au Stade olympique.

Les raisons pour demeurer à la maison étant pourtant nombreuses. L'affrontement avait lieu en plein hiver, au moment où les amateurs de sport n'ont pas la tête au soccer. La Ligue des champions de la CONCACAF demeure un tournoi nébuleux, avec des matchs s'étalant sur deux saisons. Le FC Pachuca était un adversaire inconnu chez nous. Et, plus important encore, l'Impact a laissé ses partisans sur une note amère en 2014.

Malgré tout, il a suffi d'un seul bon match au Mexique la semaine dernière - un verdict nul de 2-2 arraché dans la souffrance - pour que les amateurs répondent présents. Pour qu'ils soient prêts à donner une chance à ce nouveau groupe de joueurs, de modeste notoriété.

Résultat, plus de 20 000 billets ont été vendus en 6 jours! Un mauvais marché de soccer, vraiment?

Une demi-heure après le but magique de Cameron Porter, il fallait les entendre, ces fans, entonner à tue-tête la chanson de ralliement de l'Impact à la sortie du Stade olympique. Les cris «Allez Montréal!» résonnaient dans la rotonde. Un beau moment, aucun doute là-dessus. Presque un buzz, pour tout vous dire...

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J'ai assisté au match dans les gradins. Autour de moi, beaucoup de familles. Si les enfants demandent à leurs parents de retourner voir cette équipe qui leur aura proposé une si belle soirée en pleine semaine de relâche, l'Impact aura accompli un bout de chemin pour consolider sa place dans notre paysage sportif.

L'affrontement de mardi demeurera en effet dans les mémoires. D'abord, cette terrible déception lorsque le FC Pachuca a marqué sur penalty avec une dizaine de minutes à jouer. Même si la situation semblait désespérée, la foule n'a pas cessé d'y croire.

Ensuite, ce moment magique: une longue passe précise de Calum Mallace - on aurait dit Peyton Manning! - vers Cameron Porter, qui maîtrise en douceur le ballon contre sa poitrine - on aurait dit Jerry Rice! - et trouve habilement le fond de la cage - on aurait dit Mike Bossy! - pour conduire l'Impact en demi-finale.

Après cet exploit, les messages de félicitations à l'Impact ont été nombreux sur Twitter. Le Sporting Kansas City a dit «Bravo» (en français, svp), et Jürgen Klinsmann, l'entraîneur de l'équipe nationale américaine, a écrit: «Une réussite fantastique pour l'Impact de Montréal!! Félicitations!!! Quel but dans la dernière minute!!!»

Du coup, la crédibilité de l'Impact dans le soccer nord-américain a fait un bond prodigieux. L'Impact ne s'est pas seulement qualifié pour la demi-finale, il l'a fait avec style. Et passion.

On a même vu Frank Klopas très émotif sur le terrain après le but de Porter. En retournant au vestiaire après son expulsion, l'entraîneur-chef de l'Impact a agité avec fougue son chandail en direction de la foule. S'il continue de nous surprendre de la sorte, il finira peut-être par balbutier quelques mots de français avant la fin de la saison...

Il faut aussi reconnaître à Klopas son flair: utiliser Mallace et Porter en fin de deuxième demie a été payant.

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Vingt-quatre heures après la victoire, l'Impact a reçu une autre bonne nouvelle: Major League Soccer (MLS) et ses joueurs ont renouvelé pour cinq ans la convention collective.

Pour l'organisation montréalaise, qui mise sur cette victoire contre Pachuca pour reconstruire sa relation avec les fans, un arrêt de travail aurait été catastrophique. On voit mal comment une équipe en grève aurait maintenu sa participation en Ligue des champions.

Cela dit, cette nouvelle entente est une immense victoire patronale. La direction du circuit a tenu la ligne dure durant les négociations, ne jetant qu'un minimum de lest dans la dernière ligne droite, notamment sur l'autonomie et le salaire minimum.

La MLS est pourtant en pleine expansion, et les joueurs auraient eu droit à un meilleur sort. Ainsi, les nouveaux contrats de télévision aux États-Unis rapportent au circuit 90 millions par saison, le triple de l'an dernier.

Ce n'est pas tout: les propriétaires de la nouvelle concession de New York ont versé 100 millions pour se joindre au circuit. Et selon Forbes, dont les chiffres font autorité, la valeur moyenne d'une équipe est de 103 millions, 178% de plus qu'en 2008. Les Sounders de Seattle (175 millions) dominent ce palmarès. Et l'Impact? Une valeur de 96 millions, selon le magazine américain.

Malgré cette croissance - le nombre d'équipe devrait augmenter de 20 à 24 d'ici 2020 -, l'immense majorité des joueurs de la MLS touchent de modestes revenus. L'écart de traitement entre les grandes vedettes et les sans grade est phénoménal. Selon une enquête du New York Times publiée l'automne dernier, 7 joueurs sur 572 empochaient à eux seuls près du tiers des salaires versés.

Plusieurs joueurs n'applaudiront pas cette nouvelle convention collective. Ceux de l'Impact ont voté contre la proposition, nous apprend RDS. Ils ont eu entièrement raison. Ils doivent maintenant espérer que le développement du circuit se poursuive afin d'améliorer leur rapport de force en 2020.

En revanche, pour l'Impact, la paix industrielle et l'élan donné par la victoire contre Pachuca fournissent une occasion en or de relance. À l'organisation de la saisir. On l'a bien vu mardi: les amateurs sont prêts à suivre lorsque le spectacle en vaut la peine.