Si l'aventure de l'Impact en Major League Soccer (MLS) prend fin plus tôt que prévu, un scénario désormais envisageable, on se rappellera longtemps la journée d'hier.

Dans un point de presse surprenant, Joey Saputo a tiré sur la sonnette d'alarme. L'équipe, a-t-il dit en substance, ne suscite guère d'intérêt à Montréal.

Des exemples? Le match quart de finale CONCACAF de la Ligue des champions, le 3 mars prochain, se jouera devant des dizaines de milliers de sièges vides au Stade olympique. Le nombre d'abonnements saisonniers en vue de la prochaine saison sera le plus faible depuis l'entrée de l'équipe en MLS, en 2012. La vente de produits dérivés (maillots, casquettes et autres) est en chute.

Ce n'est pas tout. Le propriétaire de l'Impact a indiqué que si les recettes aux guichets de la MLS ont été inférieures de 3 millions de dollars aux prévisions l'an dernier, c'est d'abord en raison des maigres foules au stade Saputo. Son équipe, a-t-il indiqué, a raté son objectif par 2 millions. «C'est très décevant quand je dépose nos résultats financiers à la ligue...»

Joey Saputo n'a pas levé le ton en dressant ce constat. Mais ses mots étaient effilés comme des couteaux.

«Honnêtement, le buzz pour l'Impact n'est plus là, a-t-il tranché. Notre slogan pour le match de la Ligue des champions est "Marquons l'histoire". Mais je pense qu'on va marquer l'histoire par la négative. Il n'y aura pas beaucoup de gens au Stade [olympique] pour ce match. Je m'inquiète énormément, et pas seulement pour cette rencontre.

«Ainsi, en 2012, on était au troisième rang de la ligue pour les billets vendus; l'an dernier, au 11e; cette saison, si la tendance continue, on sera 13e sur 20 équipes. C'est très inquiétant.

«On dit que c'est toujours difficile d'attirer des joueurs à Montréal en raison de la météo, de la langue, de la culture... Mais une autre chose qui commence à faire mal, c'est de jouer devant des gradins vides. Un joueur préférera être à Seattle devant 45 000 personnes, malgré la surface synthétique, qu'à Montréal devant 10 000 personnes, même si c'est du gazon naturel.»

- Dites-moi, Joey, est-ce la saison de la dernière chance, avant que vous songiez à vendre l'équipe à une autre ville?

Dans sa réponse à ma question, le patron de l'Impact n'a pas franchi cette ligne. «Je ne dis pas ça. Mais comme président de cette équipe, quand je vois tout ce qu'on a fait pour atteindre la MLS - et le buzz était là -, c'est très décevant de voir que les choses commencent à aller dans l'autre sens. [...] L'important, c'est qu'on est là, on va continuer d'être là, mais en même temps, j'espère que la tendance va changer. »

- Votre portrait de la situation est néanmoins très dur...

- C'est dur, mais réaliste. On est où on est.

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Il ne faut pas s'étonner que Joey Saputo vide ainsi son sac. Déjà, au printemps dernier, il avait manifesté son incompréhension devant le petit nombre d'abonnements saisonniers.

La surprise fut d'autant plus grande que l'organisation, sur la base d'études de marketing, avait budgété 13 000 abonnements à sa saison initiale en MLS. L'Impact n'a jamais approché ce chiffre. Et cette année, ses chances d'atteindre le cap des 8000 sont faibles.

Puis, l'automne dernier, le vice-président Richard Legendre a dénoncé la faible couverture médiatique de l'Impact, estimant que le Canadien occupait trop de place.

Je comprends l'Impact d'être déçu de la réponse du public. Avec raison, l'organisation est fière d'avoir diversifié la scène sportive montréalaise en obtenant une concession en MLS. Hélas, elle souffre encore de l'inertie dont elle a fait preuve avant la dernière saison.

L'impact n'a embauché aucun joueur de premier plan, causant ainsi sa perte sur le terrain. Et elle a nommé un entraîneur sourd aux relations publiques et incapable de prononcer un mot de français. Décidément, les astres étaient mal alignés.

Si la relation entre l'Impact et les amateurs montréalais était plus forte, les insuccès de 2014 feraient moins de dommages. Mais un paradoxe existe entre les deux parties.

Pour ses dirigeants, l'Impact est une organisation qui fait ses preuves depuis 21 ans et qui déploie des efforts considérables pour l'essor du soccer chez nous. Elle souhaite en quelque sorte un retour d'ascenseur.

Mais pour l'immense majorité des Québécois, l'Impact est plutôt une nouvelle équipe, qu'ils découvrent peu à peu depuis son arrivée en MLS.

Cet hiver, l'Impact a fait preuve de dynamisme en embauchant des joueurs doués. Mais l'organisation devra regagner la confiance des partisans. Tenez, le défenseur belge Laurent Ciman est sans doute très bon, mais personne ne le connaît pour le moment.

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Un autre fait apparaît clairement: l'Impact est agacé par le fort appui de l'hôtel de ville au projet de retour des Expos. Le maire Denis Coderre n'était peut-être plus au Vatican hier, mais un ange a passé lorsque les deux matchs entre les Blue Jays de Toronto et les Reds de Cincinnati, en avril prochain, au Stade olympique, ont été évoqués.

Richard Legendre a estimé «un peu étrange» qu'on rappelle si souvent l'importance de faire «un effort collectif» pour remplir le Stade au cours de ces deux rencontres, afin «d'avoir peut-être un jour une équipe qui n'existe pas»...

Il a ajouté: «Pourquoi n'aurions-nous pas cette même volonté pour s'occuper du mieux possible d'une équipe qui existe déjà et qui cherche à grandir?»

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Comment les amateurs recevront-ils le message de Joey Saputo? Vendre son sport en dénonçant l'apathie des fans est rarement une recette gagnante.

Les Expos ont longtemps tenté le truc, sans succès. Au contraire, ils en sont venus à dégager une image d'organisation toujours prête à imputer ses malheurs aux autres.

L'Impact s'est engagé dans cette voie hier. Or, les gens achèteront des billets si les visites au stade Saputo sont divertissantes. Pas par esprit civique.

La sortie de Joey Saputo n'avait rien d'improvisé. Sera-t-elle fructueuse? Chose certaine, si l'Impact quitte un jour Montréal, le propriétaire aura eu le mérite d'agir à visage découvert. Plus personne ne peut ignorer son avis sur la place de son équipe dans notre paysage sportif.