Voici la première de deux chroniques sur les rumeurs de déménagement des Rays de Tampa Bay à Montréal.

Deux jeunes Québécois passionnés de baseball, Adry Laurin et Gabriel Morissette, ont visité les 30 stades des ligues majeures cet été. C'était leur manière de montrer aux Américains leur désir de retrouver les Expos.

Interrogé par mon collègue Jean-Philippe Arcand, Gabriel a commenté les bruits expédiant les Rays de Tampa Bay chez nous: «Je ne veux pas qu'on soit utilisés comme argument pour forcer la main de la Ville de Tampa Bay. (...) Il faut que ce soit sérieux.»

Désolé Gabriel, mais c'est ainsi que les choses fonctionnent dans le sport professionnel! Retrouver le nom de Montréal au coeur d'une rumeur pareille me semble plutôt un passage obligé et une excellente nouvelle.

Si nous ne voulons pas être «utilisés» - plusieurs amateurs ont aussi employé cette expression cette semaine -, mieux vaut abandonner le projet sur-le-champ. On n'obtient pas d'équipe professionnelle sans être froissés à l'occasion.

Le cas de Tampa/St. Petersburg en est une excellente illustration. Avant de recevoir une équipe de l'expansion, cette région a souvent été «utilisée» par des organisations souhaitant obtenir un nouveau stade dans leur propre marché. En août 1992, les Giants de San Francisco sont même venus à deux doigts de déménager sur la côte ouest de la Floride.

Au hockey, Winnipeg a été «utilisé» par d'autres villes avant de retrouver ses Jets en 2011. Tout comme Los Angeles est actuellement «utilisé» par les équipes de la NFL souhaitant un nouveau stade, notamment les Rams de St. Louis.

Un exemple: lorsque le projet de construire un palace pour les Vikings de Minnesota a semblé dérailler en 2012, la menace d'un transfert à Los Angeles a fait débloquer le dossier.

Cela dit, il est clair que la métropole californienne obtiendra bientôt une équipe. Mais si une ville de cette dimension, avec autant d'atouts dans son jeu, doit aussi se plier à ce long et pénible exercice, il serait naïf de croire que Montréal en fera l'économie.

Oui, Montréal sera «utilisé». Ça fait partie du jeu. La bonne nouvelle, c'est qu'il y a cinq ans à peine, quiconque aurait songé à attribuer ce rôle à Montréal n'aurait eu aucune crédibilité. C'est dire combien les choses ont changé.

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L'idée du transfert des Rays à Montréal a refait surface le week-end dernier dans un article du Daily News de New York. L'organisation a pris la chose suffisamment au sérieux pour publier un communiqué rappelant son attachement à la région de Tampa Bay.

Cet acte de foi ne maquille pas l'essentiel. Les Rays vivotent en Floride. Au cours des quatre dernières saisons, ils ont terminé trois fois derniers et une fois avant-derniers au niveau des assistances dans le baseball majeur.

Leur stade couvert, sans toit ouvrant, est vieillot. Le transport en commun pour s'y rendre est déficient. Et il est situé juste assez loin du coeur de Tampa pour décourager beaucoup d'amateurs de faire le trajet.

Malgré tout, les Rays alignent des équipes concurrentielles. Il s'agit d'un exploit puisqu'ils évoluent dans la division des Yankees de New York et des Red Sox de Boston, qui dépensent des fortunes en salaires. En 2014, par exemple, la liste de paie des Rays était de 82 millions, soit 126 millions de moins que les Yankees et 72 millions de moins que les Red Sox.

Grâce à leur flair, les Rays ont construit des équipes concurrentielles, qui ont participé aux séries éliminatoires trois fois au cours des cinq dernières saisons. Mais voilà qu'une tempête parfaite les frappe.

Coup sur coup, le DG Andrew Friedman et le gérant Joe Maddon ont quitté l'organisation. Ils comptent parmi les meilleurs de leur profession. Friedman a été embauché par les Dodgers de Los Angeles et Maddon, par les Cubs de Chicago.

Résultat, la saison 2015 des Rays s'annonce éprouvante. L'espoir ne sera pas au rendez-vous à l'ouverture du camp d'entraînement. Et les assistances ne s'amélioreront pas. De là les rumeurs voulant que le propriétaire Stuart Sternberg en ait soupé et examine ses options.

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L'idée de construire un stade moderne dans la région de Tampa Bay est dans l'air depuis plusieurs années. Mais le dossier est enlisé. L'échéance tardive du bail liant l'équipe au Tropicana Field (2027) explique en partie cette situation.

Les élus américains n'hésitent pourtant pas à pomper des millions dans le sport professionnel. À première vue, il est donc étonnant que les Rays et l'administration locale ne trouvent pas un terrain d'entente.

C'est ici que Jeffrey Loria entre en compte. L'ancien proprio des Expos a obtenu un nouveau stade pour ses Marlins de Miami, payé aux deux tiers par les contribuables. Hélas pour eux, les 500 millions d'argent public pompé dans le projet reviendront au bout du compte à 2,4 milliards en raison des conditions de financement.

En Floride, l'affaire a fait scandale. Des politiciens en ont payé le prix. Leurs successeurs sont sur leurs gardes. Les Dolphins de Miami, qui demandaient 350 millions d'argent public pour rénover leur stade, l'ont appris à leurs dépens, se butant à un refus ferme.

Au bout du compte, les Dolphins régleront la facture. En contrepartie, ils recevront des bonis du comté de Miami-Dade s'ils attirent des événements dotés d'un impact économique vérifiable. Un Super Bowl, par exemple, leur vaudra 4 millions.

Dans ce contexte, le défi des Rays s'annonce redoutable: maigres foules, faible appui des entreprises, prudence des élus... Non, les rumeurs de déménagement ne cesseront pas de sitôt.

Il est tout de même paradoxal de constater que sans le dérapage lié au stade des Marlins, les politiciens floridiens seraient sans doute plus proactifs dans le dossier des Rays. Par la bande, ce cher Jeffrey Loria influence encore le dossier du baseball majeur à Montréal.