Comment écrire sur le sport lorsqu'une tragédie secoue un pays?

Comment se passionner pour les succès et les échecs de nos équipes lorsqu'un jeune soldat montant la garde devant un monument est froidement abattu?

Comment s'intéresser aux dernières nouvelles du hockey ou du baseball lorsque des coups de feu retentissent dans l'enceinte du Parlement, semant l'effroi chez tous ces gens qui, par leur travail et leur engagement, lui donnent son âme?

La LNH a eu raison de remettre le match des Sénateurs prévu mercredi à Ottawa. Dans cette ville secouée par un si terrible événement, personne n'aurait eu envie d'applaudir un beau but ou un arrêt spectaculaire. Le sport semble si futile dans des circonstances pareilles.

Heureusement, le sport est souvent porteur d'espoir. Porté à son sommet, il est animé par des hommes et des femmes qui croient en leurs rêves.

Leurs réussites sont parfois inspirantes. Les plus généreux d'entre eux, qu'ils soient athlètes olympiques ou professionnels, gestionnaires ou entraîneurs, contribuent à l'élan de la société en redonnant un peu de ce qu'ils ont reçu. Ils nous rappellent ainsi la force de la solidarité.

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Masai Ujiri est président et directeur général des Raptors de Toronto, de l'Association nationale de basketball (NBA). Originaire du Nigeria, où il a grandi avant de jouer au basket dans un collège américain, il est devenu le premier DG du circuit né en Afrique quand les Nuggets de Denver lui ont fait confiance en 2010.

Au printemps dernier, Ujiri a signé un texte émouvant dans le Globe and Mail de Toronto. Il demandait l'aide de la communauté internationale pour retrouver les 300 jeunes filles enlevées dans son pays par le groupe terroriste Boko Haram.

«Nous, les Africains, devons être capables de croire en nous, ajoutait-il. Je pense fermement que ce continent possède un potentiel illimité et un avenir brillant. Et nous, de la diaspora, devons tout mettre en oeuvre pour aider la jeunesse africaine.»

Mercredi après-midi, en prévision du match d'avant-saison que les Raptors joueront ce soir au Centre Bell, j'ai parlé avec Ujiri. Nous avons à peine effleuré le basketball. La journée ne s'y prêtait pas. Mais elle tombait bien pour évoquer la force d'âme de l'être humain en des temps difficiles.

«Il y a tellement de bonnes personnes dans le monde, lance-t-il. Et je crois que chacun d'entre nous possède une occasion de réussir, même si elle est parfois petite. On doit la saisir. Pour cela, l'ambition ne suffit pas. Il faut la passion. Et travailler sans relâche.»

Les parents de Masai Ujiri ont tous deux fait carrière dans le système de santé au Nigeria. Ils ont transmis à leur fils des valeurs humanistes qui sont au coeur de sa personnalité.

Ujiri est profondément attaché à l'Afrique, où il séjourne au moins deux fois par an. «Avec ma fondation, on organise des camps de basketball, dit-il. Je veux aider les enfants à développer des outils qui leur serviront toute leur vie.»

Ces populaires rendez-vous ont lieu au Nigeria, bien sûr, mais aussi au Kenya et au Ghana. Un autre programme, organisé conjointement avec la NBA, est proposé en Afrique du Sud.

Les voix à la défense de l'Afrique ont souvent du mal à se faire entendre en Amérique du Nord. Ujiri n'hésite pas à utiliser la sienne, profitant de la caisse de résonance que lui offre son poste.

L'Afrique, qui fait déjà face à tant de défis, doit aujourd'hui composer avec l'Ebola. Au Nigeria, les mesures mises en place pour enrayer l'épidémie ont été efficaces.

D'autre part, des informations récentes laissent croire que les 219 jeunes filles toujours prisonnières de Boko Haram pourraient bientôt être libérées. «Je me croise les doigts», dit Ujiri.

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Après sa carrière collégiale aux États-Unis, Masai Ujiri a joué six années au basketball dans cinq pays européens. «Mais je n'étais pas le meilleur joueur», dit-il sobrement.

Malgré l'exemple de ses parents, la profession médicale ne l'intéressait pas. Il voulait travailler dans le basketball, le sport qui constitue sa passion depuis l'adolescence.

Son premier boulot avec une équipe de la NBA, le Magic d'Orlando, n'était pas rémunéré. Un peu à l'image de son homologue des Blue Jays, Alex Anthopoulos, qui a amorcé sa carrière dans un poste bénévole au sein des Expos.

Mais peu à peu, les équipes de la NBA ont constaté son talent. Il a gravi les échelons, atteignant le poste de DG en 2010. Trois ans plus tard, il a reçu le titre d'administrateur de l'année avec les Nuggets. Il a ensuite accepté l'offre des Raptors, une organisation avec qui il avait travaillé dans le passé.

Malgré sa feuille de route impressionnante, Ujiri, âgé de 44 ans, estime avoir encore beaucoup à accomplir. «Je veux bâtir une équipe qui sera solide saison après saison. Il faut continuer de développer l'organisation. Nous sommes la seule concession de la NBA à l'extérieur des États-Unis. C'est une occasion unique pour nous. Nous pouvons être l'équipe d'un pays.»

Masai Ujiri sera à Montréal aujourd'hui pour observer son équipe. Sa femme l'accompagnera. Les deux ont visité la ville pour la première fois en août dernier, juste pour le plaisir.

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Comme joueur, recruteur et administrateur, Masai Ujiri a visité les quatre coins du monde au cours des 25 dernières années. Partout, il a transmis son message en faveur du développement de l'Afrique. Son engagement envers les jeunes de son continent illustre ses valeurs.

À titre de président et de DG des Raptors, Ujiri rappelle n'avoir encore rien remporté. Sans doute. Mais son parcours est déjà un exemple de ténacité.

Dans la grisaille d'une journée comme celle de mercredi, cette pensée est réconfortante.