En août dernier, lorsque P.K. Subban a signé son contrat de 72 millions pour 8 ans, les réactions ont été contrastées. Une somme pareille, la plus importante jamais accordée à un joueur du Canadien, ne laisse personne indifférent.

Des lecteurs m'ont écrit leur stupéfaction. Cet extrait d'un courriel résume bien leur position: «Neuf millions par année pour pousser une rondelle: ridicule! Il fait quoi pour le peuple? Absolument rien. Des médecins qui sauvent des vies ne gagnent pas le dixième de son salaire.»

D'autres ont choisi une perspective différente: «Certains s'insurgent contre le salaire de P.K. Il gagne pourtant moins pour jouer une centaine de matchs que Julia Roberts pour faire une vue!»

Ces commentaires me sont revenus en mémoire, samedi, durant l'extraordinaire spectacle de Subban contre l'Avalanche du Colorado. Oui, le jeune homme gagne une fortune. Et dans l'absolu, il ne mérite évidemment pas de toucher en une seule année plus d'argent que la majorité des gens en une vie. Pas plus que Clayton Kershaw, des Dodgers de Los Angeles, qui reçoit 30 millions par saison. Pas plus que des dizaines d'autres athlètes professionnels.

En revanche, nous ne vivons pas dans une société égalitaire. La loi de l'offre et de la demande gouverne notre système économique. Et le sport professionnel en représente une des expressions les plus pures.

Dans la LNH, certaines balises encadrent les salaires. Le plafond salarial et les contrats limités à huit saisons en sont des exemples. Mais elles n'empêchent pas les stars d'empocher le gros lot.

Si ces joueurs n'encaissaient pas leur juste part, les propriétaires, toujours discrets à propos de leurs propres revenus, feraient encore plus d'argent. Comme au temps de Maurice Richard, jamais payé à sa valeur durant ses meilleures saisons avec le Canadien. Le système actuel, avec ses salaires ahurissants, provoque certains effets démesurés. Mais il est plus équitable que dans le passé.

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En observant le show Subban samedi, Geoff Molson et Marc Bergevin ne devaient pas être mécontents de leur investissement. Si le jeune défenseur demeure en santé, son contrat sera considéré comme une aubaine avant longtemps.

Le jeu explosif de Subban ne fait pas que contribuer aux victoires du Canadien. Il constitue un moteur économique pour l'organisation et ses partenaires d'affaires. Sa fougue et son charisme consolident l'intérêt envers l'équipe.

Souvenez-vous: en 2011, les cotes d'écoute des matchs du Canadien à la télévision ont baissé. Le spectacle n'était pas attrayant. Il fallait être un fan fini pour s'enthousiasmer à l'idée de voir Scott Gomez et Brian Gionta en action.

À l'époque, les deux comptaient parmi les plus hauts salariés de l'équipe. Mais leur retentissement était quasi inexistant.

Subban, lui, contribue à définir la marque du Canadien qui, sous la direction du duo Geoff Molson-Kevin Gilmore, se modernise. Il embrasse son rôle d'ambassadeur de l'équipe, comme en font foi ses passages à des émissions comme Tout le monde en parle et Le banquier. Sa popularité et son côté jet-set sont un atout pour les nouvelles initiatives de l'équipe, comme le Club 1909, qui vise à regrouper les fans du CH partout dans le monde.

Subban aime ce rôle public. Au point où il est venu près d'arracher le micro des mains de Renaud Lavoie durant son entrevue d'après-match, samedi, où il a eu la bonne idée de glisser quelques mots de français.

Pour RDS et TVA Sports, qui verseront des centaines de millions au cours des 12 prochaines années pour diffuser les matchs, l'équation est simple: un joueur électrisant comme Subban rehausse le spectacle et aide le Canadien à gagner des matchs. Ces succès incitent les amateurs à s'abonner à leur chaîne. Cela augmente les cotes d'écoute, leur permettant ainsi de toucher encore plus d'argent des annonceurs.

On peut être sûr d'une chose: Subban n'a pas seulement fait plaisir à Geoff Molson et à Marc Bergevin, samedi.

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Un jour, l'ancien DG du Canadien Pierre Gauthier m'a expliqué une grande vérité du sport professionnel: «C'est rare qu'on paie trop cher un joueur-vedette. Ce qui fait mal à une équipe, c'est de consentir trop d'argent à un joueur moyen.»

Le cas Subban illustre magnifiquement ce propos. Les 72 millions investis en lui ne profiteront pas au Canadien seulement sur la patinoire, même s'il s'agit du point d'ancrage de sa contribution. Sur le plan marketing, son impact s'annonce phénoménal.

Subban en est conscient. Voilà pourquoi il s'est battu jusqu'au bout pour arracher ce gros contrat au Canadien. Son agent, Don Meehan, jouit d'une excellente réputation. Mais tous les DG savent qu'en négociation, il ne laisse pas beaucoup de dollars sur la table.

La structure du contrat de Subban est un modèle*. Un exemple: le 1er juillet 2020, avant d'amorcer l'avant-dernière saison de son contrat, il recevra un boni de signature de 6 millions, qui réduira d'autant son salaire de base au cours des mois suivants.

Pourquoi Meehan a-t-il exigé ce paiement anticipé? Sans doute parce qu'il est possible, selon les termes de la convention collective, qu'un lock-out ou une grève survienne le 15 septembre suivant. Si c'est le cas, Subban aura néanmoins touché presque tout son salaire de la saison.

Mais Subban aura le temps de nous émerveiller mille fois avant d'en arriver là. Ironiquement, son salaire de 9 millions protège sa créativité sur la patinoire. Quand une organisation verse autant d'argent à un joueur, elle ne peut l'empêcher de s'exprimer en lui imposant un carcan.

Lors des dernières séries éliminatoires, Subban a expliqué comment il jouait mieux lorsqu'il laissait libre cours à son flair. C'est ce qu'on a vu samedi. Pour le plus grand plaisir des amateurs de hockey.

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* Source: capgeek.com