Voici le deuxième volet de l'entrevue de notre chroniqueur avec le directeur général du Canadien.

À première vue, le travail semble anodin: choisir des photos pour les murs du quartier général des joueurs du Canadien, rénové durant l'été. Mais Marc Bergevin ne déléguera pas cette tâche. Et la raison qui le pousse à l'accomplir lui-même en dit long sur ses valeurs.

Ainsi, accrocher une photo où on verrait, par exemple, Carey Price seul devant son filet effectuer un arrêt spectaculaire ne l'enthousiasme pas.

«Je préfère une image où trois gars se regroupent autour de Carey après une victoire, dit-il. Ça relève d'un concept: tu n'es jamais tout seul. Je crois au travail d'équipe, je crois au CH. Des gens trouveront peut-être ça banal, mais pour moi, le choix des photos est important. Je veux qu'il y ait plus qu'un joueur sur la majorité d'entre d'elles.»

Sur le plan administratif, Bergevin respecte la même règle. Le travail en vase clos ne l'intéresse pas. Voilà pourquoi il est fier de s'être entouré de gens de qualité.

«J'ai de bonnes personnes autour de moi. Je pense que la recette vaut dans tous les milieux, qu'on soit banquier ou directeur général d'une équipe de hockey. Le groupe rend l'organisation meilleure. Je l'ai bien senti dans certaines situations plus tendues. Je consulte tout le monde. Et pour finir, j'assume ma décision.»

Lorsque je lui demande où il a développé ce principe de gestion, le DG du Canadien semble un moment à court de réponses. Puis, sourire aux lèvres, il lance: «Je ne sais pas, je suis peut-être né comme ça!»

Franchir les étapes une à la fois compte aussi parmi ses valeurs essentielles. Cela aide à comprendre pourquoi, qu'on soit d'accord ou non, il n'a pas bombardé P.K. Subban ou Max Pacioretty au poste de capitaine du Canadien cette saison, les laissant plutôt apprivoiser le leadership dans un rôle d'adjoint.

«Moi, par exemple, avant de devenir directeur général, j'ai été recruteur professionnel, directeur du recrutement professionnel, entraîneur adjoint, directeur du personnel des joueurs et directeur général adjoint. J'ai gravi les marches une à une.

«Il ne faut pas tout donner trop vite, poursuit-il. Chaque chose en son temps. C'est la première fois que P.K. est adjoint et Max l'a été durant une courte période la saison dernière. C'est une nouvelle expérience pour eux. Il faut voir comment ils assumeront cette responsabilité sur la patinoire et en dehors, comment ils interagiront avec leurs coéquipiers, les adjoints, les soigneurs...»

Marc Bergevin a les pieds vissés dans le concret. Il ne croit pas aux solutions magiques. Dans sa bouche, le mot «racines» revient parfois. C'est sa manière de rappeler qu'il faut bâtir sur des bases solides: le travail d'équipe, ne pas brûler les étapes...

Et, curieusement, cela explique peut-être le choix de son parcours de jogging, son activité préférée pour s'évader une trentaine de minutes plusieurs fois par semaine.

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Dans son condo sur le bord du canal de Lachine, Bergevin chausse ses souliers de course et amorce son parcours d'environ cinq kilomètres. Les rues du quartier lui sont familières. Il a grandi dans ce coin de Montréal, les quartiers Pointe-Saint-Charles et Saint-Henri. Et le passage des années n'a rien effacé de ses souvenirs de jeunesse.

«J'ai été élevé de manière très modeste, rappelle-t-il. On était huit, on avait trois chambres à coucher, c'était tout petit. Mais j'étais heureux. On n'avait pas d'argent, pas d'auto tout le temps, mais j'ai eu une belle enfance.»

À chacune de ses sorties de jogging, Bergevin emprunte la rue Centre et passe devant la maison où il a grandi. Il ne rate jamais ce court rendez-vous devant cet endroit qu'il appelle simplement «chez nous». Jamais.

- Pourquoi, Marc?

Bergevin fait une pause. Il voile un instant ses yeux de la main, puis répond, ému: «Parce que ça me rapproche de mes parents.»

Marc Bergevin, ses soeurs et son frère ont été marqués par l'amour de leurs parents. Le décès de leur mère, morte à 57 ans, a infligé une plaie, pas entièrement refermée aujourd'hui.

Cette semaine, Jean-Paul, le frère de Marc, a célébré son 57e anniversaire de naissance. C'est un homme qui parle peu. Marc l'a vu pleurer une seule fois dans sa vie, le jour de la mort de leur mère.

Atteindre l'âge où elle est disparue a remué des souvenirs dans l'esprit de Jean-Paul. Il n'a pas été le seul à y penser ce jour-là. Marc et ses soeurs ont aussi fait le lien. Ils ont échangé des appels et des courriels, se sont rendu visite, ont évoqué la mémoire de celle qu'ils aimeront toujours. La famille est tissée serré.

«J'ignore si c'est consciemment que je suis retourné demeurer dans le coin, ajoute Bergevin. Mais je suis bien là-bas. J'aime les gens. C'est moi, c'est qui je suis. Et quand je cours dans les rues du quartier, ça me ramène là...»

Quand Marc Bergevin jogge, il ne fait pas simplement s'aérer l'esprit en avalant les kilomètres. Il se branche aussi sur ses racines.

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L'été de Bergevin a été occupé. Après le long parcours du Canadien en séries éliminatoires, les gros dossiers se sont vite enchaînés: repêchage, négociations avec les joueurs autonomes, renouvellement des contrats de Lars Eller et P.K. Subban...

À peine a-t-il pris le temps de décompresser une semaine en allant pêcher la truite dans la région de Sept-Îles. «J'ai tellement aimé ça que je veux y retourner l'année prochaine!»

À l'amorce de sa troisième saison comme grand manitou de l'équipe, Bergevin se sent encore mieux outillé pour affronter les défis de son boulot. «On dit que l'expérience ne s'achète pas, rappelle-t-il. C'est vrai! Je suis un meilleur DG aujourd'hui qu'au jour de ma nomination. J'ai beaucoup cheminé.»

Cela lui a permis d'éviter des pièges. Par exemple, céder à la tentation de s'entendre à long terme avec Thomas Vanek peu après son arrivée à Montréal, en mars dernier. Beaucoup d'amateurs espéraient pourtant que le DG passe vite à l'action.

«Si j'avais fait plaisir aux partisans en accordant à Thomas le contrat de sept ans qu'il voulait, je pense qu'ils me crucifieraient aujourd'hui! lance Bergevin. Parfois, il faut prendre son temps, laisser les choses se dérouler. Attendre un peu risque de te coûter plus cher. Mais au moins, tu es sûr de ton coup.»

Cela dit, Bergevin ne regrette en rien l'acquisition de Vanek à la date limite des transactions. «Il nous a aidés à atteindre les séries. Avec David Desharnais et Max Pacioretty, il a composé un des meilleurs trios de la Ligue nationale dans la dernière ligne droite. On a eu besoin de cet apport parce que la course était très serrée. Mais il n'a pas été capable de monter son jeu d'une coche en séries. Au fond, il a décidé pour nous que lui offrir un nouveau contrat n'était pas une option.»

Le cas Vanek est révélateur. Car il illustre une autre valeur de Marc Bergevin: la patience.

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À la veille de l'ouverture de la saison, Marc Bergevin est optimiste. Mais il sait qu'une équipe n'est jamais à l'abri d'une malchance. L'absence d'un joueur clé, par exemple, finit toujours par faire mal. On l'a vu au printemps dernier lorsque Carey Price a été blessé. L'impact sur le moral des deux clubs, positif pour les Rangers et négatif pour le Canadien, a été immédiat.

Mais cela fait partie du passé. Et la saison qui commence est pleine de promesses. Pourvu que le Canadien respecte la règle numéro un de son directeur général: penser à l'équipe d'abord. Si le groupe s'approprie cette consigne, les photos accrochées dans le quartier des joueurs seront encore plus belles dans un an.