Si Roger Goodell avait commis autant d'erreurs dans la négociation des droits de télé de la NFL que dans sa gestion des cas de violence conjugale, il ne serait plus commissaire de la NFL. Les propriétaires d'équipe l'auraient déjà remplacé par une personne plus alerte.

Mais voilà: la véritable responsabilité de Goodell est de générer des revenus pour la NFL. Et à ce chapitre, sa feuille de route est impeccable. Ils atteindront 10 milliards cette saison. Et son plan afin de les gonfler à 25 milliards en 2025 fait saliver ses patrons.

Il n'est donc pas étonnant que Goodell ait écarté l'idée de démissionner, vendredi. Pourtant, la question est inévitable: pourquoi devrait-il conserver son boulot?

«Parce que j'ai reconnu mes erreurs», a-t-il répondu, avant de se décerner une fleur: «Mes exigences envers moi-même sont du plus haut niveau. Quand je commets une faute, personne n'en est plus gêné. Les propriétaires le savent. Des erreurs, ça arrive. Et j'en suis désolé.»

En conférence de presse à New York, sa première apparition publique en plus d'une semaine, Goodell a d'abord paru repentant. Il s'est attribué le blâme pour le dérapage de l'affaire Ray Rice. Et il a promis de faire mieux.

Comment? En créant un comité qui analysera les procédures de la NFL en matière de conduite des joueurs: cueillette et analyse de la preuve, déroulement des auditions, attribution des sanctions disciplinaires...

Des programmes d'éducation seront aussi adoptés. Des spécialistes externes participeront à la réflexion, menée avec l'Association des joueurs. Goodell souhaite implanter une politique globale à temps pour le prochain Super Bowl, moment de l'année où la NFL occupe une place majeure dans l'actualité et veut éviter tout embarras.

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C'est la deuxième fois en moins d'un mois que Goodell fait son mea-culpa. La première est survenue en août, dans la foulée du ressac causé par la minuscule suspension de deux matchs imposée à Ray Rice, des Ravens de Baltimore, qui a violemment frappé sa conjointe.

En annonçant l'adoption de mesures disciplinaires plus sévères, Goodell croyait avoir calmé la tempête. Mais la diffusion de la vidéo où l'on voit le geste répugnant de Rice a relancé la controverse. Goodell assure qu'il ne l'avait pas vue avant de rendre sa décision initiale. Mais comme le note le réseau CNN, il avait accès au rapport de police qui décrivait parfaitement les événements.

Plus tôt cette semaine, Goodell a laissé les Vikings du Minnesota se ridiculiser dans le dossier d'Adrian Peterson, accusé d'avoir blessé son enfant de 4 ans en le fouettant avec une branche d'arbre.

Les Vikings ont suspendu Peterson pour leur match de dimanche dernier - une défaite cuisante contre les Patriots de la Nouvelle-Angleterre -, puis annoncé sa réintégration en vue de leur prochaine rencontre. Cette décision, ont-ils juré, fut uniquement prise afin de respecter l'intégrité du processus juridique. Bien sûr!

Sauf qu'un événement inattendu s'est ensuite produit. Les hôtels Radisson ont suspendu leur commandite de l'équipe. Cette fois, les Vikings ont pris la chose au sérieux. Et Peterson a de nouveau été mis à l'écart du jeu.

Ailleurs dans la ligue, d'autres organisations ont réagi de manière différente à des cas de violence conjugale, démontrant ainsi le manque de leadership de Goodell.

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Le père de Goodell, Charles, était un politicien républicain modéré. En 1968, après l'assassinat de Robert F. Kennedy, le gouverneur de l'État de New York - lui-même un républicain - l'a choisi pour assumer la succession de RFK au Sénat américain.

S'opposant vigoureusement à la guerre du Viêtnam, le nouveau sénateur a suscité la colère de Richard Nixon. Le président des États-Unis a multiplié les efforts afin de nuire à ses chances d'élection en 1970. Charles Goodell a été battu. Mais son cran et son courage lui ont valu l'admiration de tous les esprits progressistes.

Cette semaine, un chroniqueur du magazine The Atlantic a posé cette question dévastatrice: «Roger Goodell réalise-t-il qu'il ressemble de moins en moins à son père et de plus en plus au président qui a eu raison de lui?»

Le comportement de Goodell offre un contraste saisissant avec celui d'Adam Silver, commissaire de l'Association nationale de basketball (NBA) depuis février dernier.

Peu après son arrivée aux commandes, le site TMZ a divulgué les propos racistes de Donald Sterling, le propriétaire des Clippers de Los Angeles, dans un entretien avec sa maîtresse.

Après s'être assuré que la voix était bien celle de Sterling, le commissaire a tranché vite et fort: il a banni le coupable du circuit et l'a forcé à vendre son équipe. Du coup, les menaces de boycott des matchs de la NBA, formulées par des joueurs et des amateurs, ont pris fin. La paix sociale a été préservée.

Le leadership de Silver a marqué le circuit. À preuve, plus tôt ce mois-ci, l'actionnaire majoritaire des Hawks d'Atlanta a annoncé la mise en vente de son équipe en révélant avoir écrit un courriel raciste en 2012.

Parce que ses valeurs sont solides, Silver a agi fermement. Goodell navigue plutôt au gré du vent. Et malgré sa mine contrite au début de son allocution de vendredi, on a vite senti son profond agacement lorsqu'une journaliste l'a interrogé à propos de l'impartialité de l'enquête menée par Robert Mueller. Cet ex-directeur du FBI examine actuellement le comportement du circuit dans l'affaire Ray Rice.

Mueller a été choisi par Goodell. L'enquête est supervisée par deux propriétaires d'équipe comptant parmi les fidèles du commissaire. Et Mueller est membre d'un cabinet d'avocats entretenant des liens étroits avec la NFL. Selon Goodell, il s'agit néanmoins d'une «enquête indépendante».

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La NFL est aux prises avec un problème grave. Souhaitons que le plan annoncé par Goodell vendredi produise des effets positifs. Il n'en reste pas moins que le commissaire ne possède plus l'autorité morale pour gérer ce dossier délicat.