Il y a un an, presque jour pour jour, Eugenie Bouchard était éliminée au deuxième tour de l'Omnium américain. Elle occupait alors le 59e rang mondial, un classement qui, deux semaines plus tôt, l'avait obligée à franchir l'étape des qualifications afin d'obtenir une place au tableau principal du tournoi de Cincinnati.

À cette époque pas si lointaine, personne, absolument personne, n'aurait prédit la suite des événements. À peine 12 mois plus tard, la jeune femme de 20 ans est une authentique star de son sport. Ses résultats en Grand Chelem, couplés à son charme, lui ont fait franchir les étapes à une vitesse inouïe.

Cette semaine, New York l'a consacrée. Il ne faut pas minimiser l'importance de ces développements sur la suite de sa carrière. Le New York Times du dimanche, avec son tirage de 2,5 millions (moitié exemplaires imprimés, moitié abonnements numériques), a publié sa photo à la une de son magazine, en plus d'un long article. Et le réseau CNN a présenté un reportage sur la joueuse.

Cette publicité inattendue explique en partie la décision des organisateurs de l'Omnium américain de l'inviter à jouer sur le court central, jeudi soir. Sa victoire contre Sorana Cirstea a été retransmise sur ESPN à une heure de grande écoute.

Pendant deux heures, le descripteur Mike Tirico et l'analyste Chris Evert ont multiplié les compliments à son endroit. Le Québec en a profité par la bande. «Eugenie Bouchard est de Montréal, une belle destination, a dit Tirico. De New York, il suffit d'une heure en avion et on se retrouve presque en Europe...»

Plus tard, Evert a souligné le bon travail de Tennis Canada dans le développement des joueurs, un angle aussi exploité par le Wall Street Journal plus tôt cette semaine.

Pour Eugenie Bouchard, les choses ne pouvaient mieux tomber. New York demeure la plaque tournante des affaires aux États-Unis. Pour une athlète dotée d'un si formidable potentiel de commandites, il n'existe pas de meilleur endroit pour briller. Encore plus quand les agents font la file dans l'espoir de la représenter.

Depuis l'âge de 13 ans, Bouchard est représentée par la firme Lagardère. Ce contrat prendra fin en octobre. Sera-t-il renouvelé? Chose certaine, le géant IMG, qui veille aux intérêts de Maria Sharapova - la sportive la mieux payée au monde -, est aussi intéressé. Selon le Sports Business Journal, c'est également le cas de Team8, une société fondée par Roger Federer et son agent de toujours, Tony Godisck.

Cette année, Eugenie Bouchard est devenue porte-parole de Coca-Cola au Canada. De lucratives ententes de dimension internationale sont aussi à sa portée. Dans ce contexte, la qualité de la relation avec son agent sera primordiale. Voilà pourquoi se décision sera si importante.

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Après avoir disputé la finale de Wimbledon en juillet, Eugenie Bouchard a connu une baisse de régime avec des éliminations rapides à Montréal, Cincinnati et New Haven. Assez pour que certains amateurs s'interrogent: cette fille deviendra-t-elle vraiment une grande championne?

Rassurez-vous, cela ne fait aucun doute. Eugenie Bouchard possède un talent fou. «On n'insiste pas assez sur la qualité de son jeu, rappelait Louis Borfiga, plus tôt ce mois-ci. Elle prend la balle plus tôt que les autres et met ainsi ses rivales sous pression. Elle possède aussi un grand revers.»

Borfiga, le patron du développement de l'élite au Canada, souligne aussi le coup droit de Bouchard. «Son jeu est complet. Si j'étais un entraîneur adverse, je ne saurais pas trop où l'attaquer. Elle a le potentiel d'une future numéro un mondiale.»

Voilà pourquoi ses ennuis des dernières semaines, même s'ils ont suscité plusieurs commentaires, ne sont pas inquiétants.

Les succès de Bouchard ont provoqué une problématique imprévue: ils ont gonflé démesurément les attentes envers elle. Après sa participation à la demi-finale des Internationaux d'Australie en janvier dernier, Eugène Lapierre avait mis les fans en garde, rappelant qu'elle ne réussirait sans doute pas ce coup-là à tous les majeurs de la saison.

L'analyse de Lapierre, directeur du tournoi de Montréal, était logique. Mais contre toute attente, Bouchard a répété l'exploit à Roland-Garros et à Wimbledon, où elle a même été finaliste.

Ces réussites font oublier qu'elle en est à ses débuts au plus haut niveau. En huit mois, sa vie a été complètement métamorphosée. Elle doit apprendre à composer avec la renommée, la fortune et les demandes de toutes sortes qui lui sont adressées. Et tout cela en demeurant concentrée sur l'essentiel, c'est-à-dire le tennis.

La surprise, ce n'est pas qu'Eugenie Bouchard ait ralenti après Wimbledon. C'est plutôt que cela ne se soit pas produit plus tôt. Parce que briller semaine après semaine est une mission impossible. Tenez, l'Omnium américain atteint à peine sa mi-parcours que deux favorites, Simona Halep et Agnieszka Radwanska, sont déjà éliminées.

Peu importe la discipline, les jeunes athlètes qui connaissent leurs premiers succès et voient leur popularité monter en flèche traversent des périodes difficiles. Apprivoiser ce nouveau statut est un défi redoutable. Et c'est encore plus vrai dans un sport individuel, où aucun coéquipier n'est là pour donner un coup de main.

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Eugenie Bouchard sera de retour sur le court Arthur-Ashe à 19 h samedi soir. Son conte de fées dans les tournois majeurs se poursuivra-t-il? Souhaitons-le, car c'est tout de même extraordinaire de voir une Québécoise s'illustrer de cette façon sur la scène internationale.

Mais même si elle était éliminée ce week-end à New York, sa saison demeurerait un succès remarquable. L'ascension d'Eugenie Bouchard est vertigineuse.