C'est le scénario auquel personne ne voulait croire. Celui d'une mauvaise journée qui se termine comme elle a commencé: mal!

Non, Eugenie Bouchard n'affrontera pas Serena Williams en quart de finale et ne sera pas davantage couronnée championne, dimanche après-midi, devant une foule survoltée, au stade Uniprix. Son parcours s'est terminé en un éclair, hier, devant des amateurs stupéfaits.

«On s'attendait à une journée historique, a dit Eugène Lapierre, directeur du tournoi. Notre joueuse montréalaise arrive au pays, devant les siens, cinquième favorite d'un des plus grands tournois au monde. On attend ce moment depuis tellement longtemps. Et toutes sortes de malchances viennent gâcher la fête. Ça demeurera une journée historique, mais pour les mauvaises raisons.»

Serein malgré sa déception, Lapierre a rendu hommage à Shelby Rogers, cette fille de Charleston, en Caroline-du-Sud, venue briser le party. Une gagnante au demeurant fort sympathique qui a saisi le phénomène Eugenie dès son arrivée au Québec et qui savait très bien dans quelle galère elle se retrouvait.

N'empêche que Lapierre n'avait pas prévu cette tournure des événements. Oui, le rendez-vous de cette année sera un succès financier, avec un record mondial d'assistance pour un tournoi féminin d'une semaine. Mais la défaite de la favorite locale jette une douche d'eau froide sur l'événement. La magie n'est plus la même.

Eugenie Bouchard n'est pas la première athlète québécoise à vivre une expérience semblable. Souvenez-vous de Jacques Villeneuve et de ses ennuis au Grand Prix du Canada, où une de ses courses s'est même achevée dans le mur du Québec. Pas facile d'être la principale carte d'attraction dans une compétition sportive internationale présentée devant les siens.

Pour Eugenie Bouchard, c'était une première en carrière. Et elle n'a jamais réussi à trouver son rythme, montrant souvent son exaspération. On l'a vue se prendre la tête à deux mains et même catapulter une balle loin dans les tribunes en geste de dépit. Elle n'affichait pas le calme de ses meilleurs jours.

Une mauvaise journée, donc. Comme tous les athlètes en connaissent. Sauf que ça fait toujours plus mal lorsque les attentes sont si élevées.

***

À la limite, on aurait compris que la pluie retarde l'entrée en scène d'Eugenie Bouchard à la Coupe Rogers. Mais une panne d'électricité? Personne n'aurait misé là-dessus, même dans les maisons de paris anglaises, où les propositions farfelues sont courantes.

Les promoteurs d'événements sportifs doivent souvent composer avec des événements inattendus. Cela fait partie de leur défi. Mais Eugène Lapierre et son groupe se souviendront longtemps de cette journée où l'on devait célébrer en grande pompe, et dans une ambiance d'allégresse, la rentrée montréalaise de la nouvelle star du tennis.

Dès le début de l'après-midi, l'électricité a flanché. Du coup, les images ont disparu des écrans géants, et l'annonceur maison a été privé de son micro.

L'arbitre du match entre Venus Williams et Anastasia Pavlyuchenkova a donné le pointage d'une voix forte après chaque échange, afin que les spectateurs suivent plus facilement l'évolution de la rencontre. La scène avait néanmoins un côté surréaliste, comme un immense plongeon dans une autre époque.

Pendant que l'électricité revenait dans plusieurs coins de la grande région de Montréal, elle se laissait toujours désirer dans le voisinage du parc Jarry. Deux heures ont passé... et toujours rien! Vers 16h30, après s'être entretenu avec Thierry Vandal, président d'Hydro-Québec, Eugène Lapierre a convoqué une réunion d'urgence: quoi faire à partir de maintenant?

Le match d'Eugenie étant prévu pour 18h; il était évidemment possible de le jouer à la lumière du jour. Sauf qu'il risquait d'être présenté devant des gradins dégarnis. Beaucoup d'amateurs ayant réservé leur place devaient en effet réclamer leur billet aux guichets. Mais sans système informatique pour gérer le tout, impossible de procéder!

La décision de retarder le début du match d'une heure a été prise. Pendant ce temps, Hydro-Québec a dépêché des génératrices au stade Uniprix. Lorsque le premier camion est apparu, les gens aux abords du stade l'ont ovationné!

Eugenie Bouchard n'a malheureusement pas eu droit à son moment de gloire, être présentée officiellement au public, avant le début du troisième set. C'est à ce moment que les génératrices ont enfin permis de faire fonctionner les haut-parleurs. Elle a été salué d'une ovation chaleureuse.

***

Personne ne souhaitait que la soirée se termine sur cette défaite sans appel d'Eugenie Bouchard. Mais le sport est source de surprises, et cela explique son intérêt.

La jeune joueuse devra tirer des enseignements de cet épisode. Et se préparer avec confiance pour son plus important rendez-vous de l'automne, l'Omnium des États-Unis, qui commence à la fin du mois.

La «Genie Army»

Comment six jeunes fans de tennis australiens se sont-ils retrouvés à Montréal pour applaudir Eugenie Bouchard? Eh oui, avec l'aide de Tennis Canada.

Au premier tournoi majeur de la saison à Melbourne, la «Genie Army», comme s'est autoproclamé le groupe, a amusé le monde du tennis en encourageant avec énergie Eugenie Bouchard. Les médias ont fait largement écho à leur enthousiasme. Et un phénomène est né.

En prévision de la Coupe Rogers, Tennis Canada leur a fait une offre: payez votre billet d'avion, et on vous offre le logement et les repas. Et on compte sur vous pour animer la foule durant les matchs d'Eugenie.

L'idée n'est pas mauvaise. La «Genie Army» participe à l'opération marketing du tournoi, notamment en rencontrant les fans montréalais.

Il est cependant regrettable qu'aucune initiative locale n'ait été mise sur pied, qui aurait aussi permis à des jeunes de partout au Québec d'obtenir une façon privilégiée d'encourager leur préférée.

La «Genie Army» - non, l'expression n'est pas traduite - a manifestement touché le gros lot. La WTA veut inviter ses membres à Singapour, l'automne prochain, en vue de sa finale saisonnière. En autant, bien sûr, qu'Eugenie Bouchard y participe. Pour cela, elle doit terminer parmi les huit premières au classement.

L'hiver dernier, après sa participation à la demi-finale de l'Omnium d'Australie, Eugenie Bouchard a été invitée par la WTA à faire la promotion de l'événement à Singapour, en compagnie de Chris Evert.

«Ç'a été magique, dit Stacey Allaster, patronne du circuit féminin. À ce moment, Eugenie espérait être invitée au volet réservé aux étoiles montantes. Qu'elle soit en lutte pour une place au tableau principal n'alimentait pas les conversations. C'est fantastique pour elle et notre circuit.»