En 2008, Eugenie Bouchard était une jeune joueuse prometteuse, ravie de participer aux qualifications de la Coupe Rogers à Montréal. Sans surprise, elle avait vite été éliminée.

Mais déjà, sa détermination ne faisait aucun doute. «Je veux gagner des Grands Chelems, je veux être numéro un au monde», avait-elle lancé, avec toute la conviction d'une fille de 14 ans croyant à se destinée. Lorsque je lui ai rappelé ce cri du coeur cette semaine, elle a souri: «J'ai vraiment dit ça?»

Six ans plus tard, Eugenie Bouchard s'approche de son objectif. Déjà, elle est la tête d'affiche de ce tournoi. Son emploi du temps est celui d'une championne, c'est-à-dire très chargé.

Dimanche, par exemple, elle s'est entraînée, puis a rencontré les journalistes. Elle a ensuite signé des articles promotionnels et enchaîné avec une entrevue télé, avant de participer à une séance questions et réponses devant public. Dans cet échange sympathique, elle a révélé que si elle ne jouait pas au tennis, elle aimerait être contrôleuse aérienne. «C'est un emploi stressant, et je pense être capable de gérer le stress...»

Voilà un atout essentiel pour percer sur la scène mondiale. À ce niveau, les enjeux sont formidables. Et la pression vient de partout. Interrogée là-dessus, Eugenie réplique, du tac au tac: «Comme dit Billie Jean King, la pression est un privilège.»

Cette jeune femme a une solide tête sur les épaules.

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La carrière d'Eugenie Bouchard est solidement lancée. Mais pour passer à l'étape supérieure et devenir une incontournable de la scène internationale, elle devra remporter un tournoi du Grand Chelem, son objectif depuis l'enfance.

Demi-finaliste en Australie et à Roland-Garros, finaliste à Wimbledon, elle s'approche du but. Mais le dernier clou est toujours le plus difficile à enfoncer.

Si elle poursuit sur sa lancée et récolte les plus grands honneurs, elle deviendra assurément l'athlète la mieux payée dans l'histoire du Québec, hommes et femmes confondus.

Pourquoi? Tout simplement parce que les meilleures joueuses du monde touchent des fortunes. Dans le classement Forbes des cinq sportives ayant empoché les plus hauts revenus en 2013, les quatre premières sont Maria Sharapova (29 millions), Serena Williams (20,5 millions), Li Na (18,2 millions) et Victoria Azarenka (15,7 millions). La pilote automobile Danica Patrick ferme la marche (15 millions).

Ces montants n'ont pas tous été récoltés en compétition, bien au contraire. Les commandites corporatives en représentent le plus fort pourcentage. Sharapova, par exemple, a touché 23 millions à ce chapitre en une seule année. Compte tenu que ces ententes publicitaires sont habituellement de moyenne ou de longue durée, inutile de préciser qu'elles se transforment vite en trésors.

Le défi pour Eugenie Bouchard et son entourage sera de composer avec ces immenses possibilités. Il faudra faire des choix, accepter les bonnes propositions et refuser les autres. L'exercice est beaucoup plus délicat qu'il n'y paraît.

Après avoir remporté le tournoi de Wimbledon à l'âge de 17 ans, Maria Sharapova est passée par là. Elle a négocié le parcours avec un succès remarquable, devenant du coup une star internationale. «Nous sommes dans un sport individuel, mais on s'entoure d'une bonne équipe qui nous aidera dans nos décisions.»

Sharapova a réussi là où d'autres joueuses douées ont éprouvé des ennuis. Ana Ivanovic et Caroline Wozniacki en constituent les meilleurs exemples. La première a remporté un Grand Chelem en 2008 mais n'a jamais répété l'exploit. Quant à Wozniacki, malgré sa première place au classement mondial pendant plus d'un an, elle demeure à la recherche d'un titre majeur.

Ivanovic et Wozniacki touchent des sommes mirobolantes en commandites (6 et 11 millions respectivement en 2013), mais leur palmarès sportif n'a pas été celui espéré.

Si Sharapova a conjugué avec succès ces deux aspects de sa carrière, c'est parce que le tennis est toujours demeuré sa priorité. Et qu'elle raffole autant de son sport qu'à l'époque où elle espérait percer.

«Plus tu travailles, plus tu es chanceuse, ajoute-t-elle. Parfois, il faut aussi dire non à des propositions exceptionnelles. Très jeune, je suis devenue assez bonne à ce chapitre. J'ai aussi la chance d'avoir des parents très réalistes et un agent qui s'occupe de moi depuis l'âge de 11 ans. On a fait de bons coups, mais aussi des erreurs. L'important, c'est d'apprendre de tout ça.»

L'agent de Sharapova s'appelle Max Eisenbud. Les deux s'échangent des dizaines de courriels par jour. Dans un article du New York Times, on racontait cette anecdote révélatrice de son souci du détail.

Avant l'Omnium américain de 2012, Sharapova a voulu changer d'hôtel à New York. Eisenbud ne lui a pas simplement demandé où elle souhaitait loger. Il s'est rendu sur place, visité les suites, testé la nourriture du service aux chambres, rencontré la direction et interrogé les responsables de la sécurité. Il a aussi identifié le parcours le plus rapide pour se rendre de l'hôtel à Flushing Meadow.

«J'ai déjà délégué ce genre de boulot, mais ça ne fonctionnait jamais à mon goût, expliquait-il. C'est peut-être un travail de base, mais le choix de l'hôtel de Maria est important. Elle séjourne ici trois semaines pour gagner un Grand Chelem.»

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Eugenie Bouchard joue maintenant dans la cour des grands. Son statut est celui d'une star. Ses perspectives d'avenir sont emballantes, mais la route est parsemée d'écueils potentiels.

Pour les éviter, elle devra garder sa concentration sur le tennis, malgré les occasions d'affaires. Et l'équipe autour d'elle devra la guider à travers des choix difficiles. Comme celle de Maria Sharapova l'a réussi.

Deux beaux moments

Après sa défaite d'hier contre Dominika Cibulkova, Françoise Abanda a répondu aux questions d'Hélène Pelletier, de RDS, sur le court central.

L'entrevue terminée, la jeune joueuse a repris le micro. « Je veux remercier mon premier entraîaneur, Jean-Claude Lemire, celui qui a cru en moi le premier, a-t-elle dit. Sans toi, je ne serais pas ici. »

Ce fut un beau moment. Les entraîneurs sont souvent oubliés dans le tennis. Ils n'ont pas la même résonance qu'en sport collectif. C'était bien d'entendre Françoise Abanda rendre ainsi hommage à un allié de la première heure.

Quelques minutes plus tard, Aranxta Sanchez a été intronisée au Temple de la renommée de Tennis Canada. Elle a livré un discours sympathique, entièrement en français. L'Espagnole qui a livré tant de matchs mémorables à Steffi Graf, a toujours entretenu une relation privilégiée avec le public montréalais. La boucle a été magnifiquement bouclée hier soir.