Dans la loge de la LNH au Madison Square Garden, un espace luxueux et accueillant situé devant le milieu de la patinoire, Gary Bettman a les yeux rivés sur le match entre les Rangers de New York et le Canadien.

Pas question de serrer des mains dans le salon situé à l'arrière, où des plateaux de sushis attendent les invités. Ni de surveiller l'affrontement devant le téléviseur accroché au mur, malgré la qualité étonnante des images. Le commissaire est plutôt assis dans un fauteuil où la vue sur l'action est incomparable.

Nous sommes en première période du match de jeudi et, dans cette ambiance endiablée où la foule trépigne et les mises en échec abondent, c'est à peine si Bettman tourne la tête vers moi durant notre conversation. Il est manifestement captivé par la rencontre.

«Notre ligue est en santé», lance-t-il, sa voix couvrant à peine les cris des partisans des Rangers. «La concurrence est vive entre les équipes, et notre modèle d'affaires n'a jamais été aussi fort. C'est le résultat des pierres que nous avons ajoutées à l'édifice au fil des années. Nos fondations sont solides.»

Pour Bettman, ce match de demi-finale de la Coupe Stanley, présenté au coeur de Manhattan, est une autre illustration du succès de sa ligue. La veille, lors d'un gala organisé dans un grand hôtel situé à deux pas de Times Square, la LNH et lui ont reçu trois prix prestigieux devant des centaines de convives.

Le Sports Business Journal, un magazine spécialisé dans le business du sport, a choisi Bettman administrateur de l'année. La LNH a aussi été sélectionnée ligue par excellence. Et la Classique hivernale du 1er janvier dernier, à laquelle plus de 105 000 spectateurs ont assisté à Ann Arbor, au Michigan, a reçu le titre d'événement le mieux réussi.

Cette reconnaissance exceptionnelle survient moins de 18 mois après la fin du lock-out qui a écourté le calendrier de la saison 2012-2013. L'amertume des fans n'a pas duré.

«Il faut parfois prendre des décisions difficiles et impopulaires à court terme afin d'obtenir de bons résultats pour l'essor de la ligue, dit Bettman. C'est dans l'intérêt à long terme de tous les gens associés au hockey.»

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Peu importe si, comme moi, on croit que la LNH manque de volonté dans sa lutte aux commotions cérébrales ou qu'elle demeure trop tolérante face aux bagarres et autres gestes violents sur la patinoire, il faut reconnaître que son produit est plus populaire que jamais aux quatre coins de l'Amérique. Cette croissance se répercute sur la scène internationale, où le hockey est en pleine expansion.

C'est cette réalité que le Sports Business Journal a soulignée mercredi. La LNH a devancé le baseball majeur, le circuit de la PGA (golf), le Nascar (course automobile), Major League Soccer et l'Atlantic Coast Conference (sport collégial) au titre de ligue de l'année. Tous ces circuits ont progressé au cours des 12 derniers mois. Mais notamment en raison de son nouveau contrat de télé au Canada, une affaire de 5,2 milliards avec Rogers, la LNH l'a emporté.

Bettman, lui, a devancé de grosses pointures comme Randy Freer, président de Fox Sports, qui a lancé deux nouveaux réseaux nationaux de télévision sportive aux États-Unis; et Kevin Plank, fondateur du fabricant de vêtements Under Armour, réputé pour ses innovations.

En trouvant de nouveaux propriétaires pour les Coyotes de Phoenix, les Devils du New Jersey et les Panthers de la Floride, Bettman a réglé trois situations problématiques. Et même si l'aventure olympique ne l'enthousiasmait guère, la présence des vedettes de la LNH à Sotchi a augmenté le rayonnement du circuit sur la scène internationale.

Résultat, la LNH est en mode croissance. L'objectif est d'atteindre le cap des 4 milliards de revenus, une hausse de 700 millions en 3 ans! «Ce devrait être fait dès la saison prochaine, dit Bettman. Nos meilleures années sont devant nous. Et notre potentiel est illimité.»

La LNH, si prudente sur le plan strictement hockey - les directeurs généraux semblent allergiques à l'innovation -, est d'une créativité exceptionnelle sur le plan des affaires. C'est d'ailleurs son grand paradoxe.

Le succès des matchs en plein air illustre l'audace du circuit. Cette saison, plus de 375 000 personnes ont assisté aux 6 rencontres extérieures. Aux yeux du Sports Business Journal, la Classique hivernale a été un plus grand succès que le Super Bowl présenté à New York en janvier dernier. La NFL a pourtant mis toute sa machine au service de cet événement, un défi logistique important, compte tenu de sa présentation dans un stade sans toit.

«Sur le plan émotif, les affrontements en plein air retournent le hockey à ses racines, explique Bettman. Ils génèrent une attention extraordinaire et ce sont des matchs de saison «régulière»...»

En 2013-2014, la LNH a d'ailleurs établi un record au niveau des assistances: plus de 21,7 millions d'amateurs ont franchi les tourniquets. L'ancienne marque avait été établie en 2008-2009.

«On veut offrir aux amateurs encore plus de contenus sur toutes les plateformes numériques, ajoute Bettman. Et nous continuerons de leur donner accès aux coulisses de notre sport. On veut être à l'avant-garde.»

Des émissions comme 24CH illustrent cette tendance. D'autres ligues partagent cet objectif. Mais à l'heure actuelle, aucune ne le fait aussi bien que la LNH. La NFL, par exemple, tarde à mettre ses plans en place.

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À la remise de son prix mercredi, Bettman a fait de l'humour: «Je suis plus habitué à être hué en remettant un trophée [la Coupe Stanley] que d'être applaudi en en recevant un.»

Cela dit, le commissaire estime que son image auprès des fans est bonne. «C'est ce que dit notre recherche. Et l'interaction avec les gens me le confirme.»

Au bout du compte, Bettman a réussi à remettre la LNH sur les rails après un conflit qui aurait pu laisser des traces profondes. Je persiste à croire que son approche des négociations a été mauvaise, trempée dans une vieille manière de faire les choses.

Mais depuis ce temps, les résultats sont convaincants. Le système en place assure l'équilibre de la compétition. «Les fans de chaque équipe peuvent avoir de l'espoir», ajoute-t-il.

Lorsque je l'ai quitté jeudi, Bettman surveillait toujours le match avec attention. Les Rangers et le Canadien se livraient un duel endiablé dans un Madison Square Garden survolté. Des centaines de journalistes étaient sur place pour en couvrir les péripéties. Et aux quatre coins du Canada et des États-Unis, des millions d'amateurs étaient rivés devant leur télé.

La semaine continuait d'être excellente pour le commissaire de la LNH.

Tous les espoirs sont permis

La victoire du Canadien jeudi modifie profondément l'allure de cette série. Dimanche, ce sont les Rangers qui auront la pression sur les épaules. S'ils perdent un deuxième match de suite devant leurs partisans, contre un gardien recrue par-dessus le marché, cela donnera un coup à leur moral.

Les Rangers ont été excellents dans la première rencontre au Centre Bell, samedi dernier. Mais il n'ont pas été aussi efficaces au cours des deux derniers affrontements. Jeudi, ils auraient pu prendre avantage des ennuis du Canadien dans les 30 premières minutes de jeu pour se sauver avec la victoire. Ils ont raté cette chance.

La manière dont le Canadien s'est regroupé en deuxième moitié de match a été impressionnante. Mais c'est surtout la force mentale de l'équipe qui est remarquable. Malgré le but crève-coeur des Rangers qui a créé l'égalité en fin de troisième période, les joueurs ont abordé la prolongation avec beaucoup d'énergie.

Si Dustin Tokarski continue d'être solide, tous les espoirs sont permis.