Son parcours et celui de Michel Therrien se ressemblent : les deux ont été secoués par leur renvoi du Canadien au début des années 2000. Mais ils ont reculé pour mieux sauter. Et aujourd'hui, ils dirigent les deux équipes finalistes de l'Association de l'Est. Cela en dit long sur leur caractère.

Après la victoire des siens lundi, Alain Vigneault a tenu un point de presse. La formule était simple: d'abord les questions en anglais, puis en français. Mais, chose inhabituelle, il a fallu attendre quelques secondes avant que le premier journaliste intervienne. «Envoyez, les Anglais!» a alors lancé Vigneault d'un ton badin.

L'anecdote en dit long sur l'entraîneur des Rangers. Son humour, son sourire coquin et son assurance le caractérisent.

Quand Réjean Houle, alors directeur général du Canadien, l'a embauché en 1997, il a été étonné par sa confiance en lui. «Alain émet ses opinions sans retenue, expliqua Houle. Entre lui et moi, ce sera clair et direct.»

À l'époque, la nomination de Vigneault m'a marqué pour une raison personnelle: je couvrais le Canadien depuis 1984 et c'était la première fois qu'un gars sensiblement de mon âge (lui, 36 ans; moi, 37) héritait du poste. Dans ma vie professionnelle, qui baignait dans le hockey, c'était un signe du passage du temps.

L'annonce de sa sélection m'a également secoué. Rien à voir avec Vigneault, tout à voir avec Bertrand Raymond, qui publia la primeur dans Le Journal de Montréal. Un autre de ses excellents coups! Mais le beau scoop de Bertrand me fit mal puisque je cherchais aussi à apprendre le nom de l'heureux élu.

J'ai néanmoins obtenu un prix de consolation: une entrevue de fond avec Vigneault, jusque-là entraîneur des Harfangs de Beauport, dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ). Je l'ai rencontré le matin de sa première journée de travail au Centre Molson, comme on nommait alors le Centre Bell. Arrivé quelques instants avant moi, Vigneault ne trouvait pas son bureau.

Un gardien l'orienta tout en lui expliquant les différents éléments de sécurité des quartiers des joueurs: carte magnétique, codes d'accès, etc. Se tournant vers moi, Vigneault lança: «C'est différent de l'aréna de Beauport...»

Je l'ai tout de suite trouvé sympathique.

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Aujourd'hui, Alain Vigneault est connu des amateurs de hockey des quatre coins de l'Amérique. Ce n'était pas le cas en 1997.

Le jour de sa nomination, il fit la tournée des stations de radio, répondant aux questions de quelques auditeurs. L'un d'eux oublia son prénom: «Je veux te souhaiter bonne chance mon... euhhh... euhhh...» L'animateur dut rappeler que le nouveau coach du Canadien s'appelait Alain Vigneault.

Lorsque nous nous sommes finalement assis pour l'entrevue, Vigneault me raconta son parcours, notamment la poignée de matchs qu'il disputa à la ligne bleue des Blues de St. Louis au début des années 80.

Vigneault raffolait du hockey, mais son talent était limité. À l'âge de 23 ans, il refusa le nouveau contrat proposé par les Blues, mit un terme à sa carrière et s'inscrivit à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Il fallait être lucide pour ne pas s'accrocher au rêve irréaliste d'une longue carrière dans la LNH.

Durant ses études, Vigneault devint entraîneur par accident. Il accepta de donner un coup de main à une équipe Tier II de Trois-Rivières. Deux ans plus tard, il se retrouva derrière le banc des Draveurs, de la LHJMQ.

En 1987, lorsque Pat Burns quitta les Olympiques de Hull pour diriger les Canadiens de Sherbrooke, de la Ligue américaine, Vigneault lui succéda. «Wayne Gretzky était le propriétaire de l'équipe. Un patron idéal puisqu'on ne le voyait pas souvent!», m'avait-il dit en riant.

Dans mon article de l'époque, une déclaration de Vigneault laisse entrevoir pourquoi il demeura plus tard sept saisons à la barre des Canucks de Vancouver. Et explique pourquoi il a reçu des offres généreuses lorsque ceux-ci l'ont remercié au printemps dernier: «Je traiterai les joueurs comme j'aimerais l'être.»

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Vigneault n'a pas obtenu le succès souhaité avec le Canadien. En novembre 2000, après les 20 premiers matchs du calendrier, il fut congédié en même temps que Réjean Houle.

Le CH venait de perdre 10 de ses 11 derniers matchs, et Pierre Boivin, le nouveau président de l'équipe, en a eu assez. Ces insuccès fragilisaient la situation financière de l'organisation. La vente d'abonnements saisonniers était en chute libre et le taux de renouvellement des baux des loges, anémique.

En trois saisons complètes derrière le banc du Canadien, Vigneault ne participa qu'une fois aux séries éliminatoires. Ironiquement, son successeur fut... Michel Therrien!

Vigneault travailla quelques mois comme dépisteur pour les Blues de St. Louis. Mais en décembre 2002, quelques jours après Noël, le téléphone sonna à sa maison de Gatineau. C'était Serge Savard fils qui lui offrait le poste d'entraîneur-chef du Rocket de Montréal, de la LHJMQ.

«J'avais mentionné l'idée à mon père, raconte Serge fils. Il m'a dit: «Appelle-le!»Réjean Houle, qui n'avait que de bons mots à son endroit, m'a donné son numéro de téléphone. Lorsque je lui ai parlé, Alain m'a dit qu'il était en train de virer fou dans son salon. Il voulait travailler. Un peu plus tard, sa réflexion déjà terminée, il m'a rappelé. Ses premiers mots ont été: "À quelle heure, la pratique, demain? "»

Ironiquement, Vigneault retourna au Centre Bell, où le Rocket disputait ses matchs. Lorsqu'il prit place derrière le banc pour la première fois depuis son départ du Canadien, à peine 1000 personnes étaient dans les gradins!

La saison suivante, le Rocket déménagea à l'Île-du-Prince-Édouard et Vigneault y transporta ses pénates. «Alain est un gars ultra préparé, ajoute Serge Savard fils. Il travaillait du matin au soir.»

En 2005, Vigneault passa à la Ligue américaine en prenant les commandes de la filiale des Canucks de Vancouver à Winnipeg. Un an plus tard, il était le nouveau pilote des Canucks. Et l'été dernier, les Rangers de New York ont fait de lui l'entraîneur le mieux payé de la LNH.

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Comme Michel Therrien, Alain Vigneault est un homme tenace. Les deux ont été secoués par leur renvoi du Canadien au début des années 2000. Mais ils ont reculé pour mieux sauter. Et aujourd'hui, ils dirigent les deux équipes finalistes de l'Association de l'Est. Cela en dit long sur leur caractère.

Avant le début de cette série, j'ai demandé à Therrien si cette étonnante tournure des événements avait une signification pour les jeunes entraîneurs québécois qui rêvent de gravir les échelons au hockey.

«Notre cheminement n'a pas été facile, a-t-il répondu. On a travaillé chez les juniors et dans la Ligue américaine. Et on a eu des embûches comme jeunes entraîneurs dans la Ligue nationale. C'est souvent la manière dont tu rebondis qui fait la différence.»

À cet égard, Alain Vigneault et Michel Therrien sont des champions.