Par la fenêtre de l'auto, j'aperçois les paysages de la Nouvelle-Angleterre. Mon collègue Marc Antoine Godin est au volant et nous filons vers Boston.

C'est bizarre, mais, quelque part, j'ai l'impression d'avoir rendez-vous avec l'histoire. Depuis le départ des Nordiques pour le Colorado, rien ne vaut une série entre les Bruins et le Canadien.

La frontière des États-Unis franchie, je pense aux journalistes du passé qui ont fait le même trajet - en train, sans doute - pour raconter les péripéties de ces extraordinaires affrontements. Comme le sentiment de me glisser tout doucement dans leurs pas.

À leur époque, il n'y avait pas de médias sociaux pour communiquer leurs réactions sur le coup. Le métier était différent mais la trame de fond est demeurée la même: le Canadien n'aime pas les Bruins et les Bruins n'aiment pas le Canadien. C'était vrai dans le temps de Maurice, du Gros Bill et de Guy-Guy-Guy, et ça l'est encore aujourd'hui.

Dans notre monde qui change sans cesse, peu de choses sont immuables. Mais cette rivalité sans pareille en est une. Tenez, voyez ce titre dans le journal: «Longue et dure série prévue entre le Canadien et Boston». Plus loin, on ajoute: «On est en droit de s'attendre à un autre intéressant duel de gardiens de but dans la série commençant ce soir.»

Avouez que ces deux phrases s'appliquent parfaitement à la réalité de 2014. Le Canadien et les Bruins pourraient en découdre longtemps. Et le face-à-face de Tukka Rask et Carey Price sera déterminant. Mais ces lignes ont été publiées dans le quotidien Le Canada le 9 avril 1953, jour du premier match de la finale de la Coupe Stanley.

Soixante et un ans plus tard, tout n'est pas identique, évidemment. Le premier match est à Boston, pas à Montréal. Et aucun billet n'est disponible dans la section Terrasse au coût de... 1,75$, comme c'était alors le cas!

Cette année-là, après avoir chacune remporté un match au vieux Forum, les deux équipes se retrouvèrent au Garden pour la troisième rencontre. L'ambiance était électrique. «Les hostilités commencèrent à une très vive allure et les deux clubs échangèrent de solides coups d'épaule», relate le journaliste du Canada.

- Hé, Marc Antoine, combien tu paries qu'on pourra écrire la même chose?

Les yeux rivés sur la route, mon collègue opine du bonnet. Et nous poursuivons notre route vers Boston. Vers notre rendez-vous avec l'histoire.

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Bon, le Canadien peut-il gagner cette série? Bien sûr que oui! Même si, à écouter la rumeur publique, on croirait que les Bruins sont dans une classe à part. À force d'entendre dire qu'ils sont costauds, rapides et expérimentés, j'en viens presque à croire qu'ils sont des surhommes!

Ce n'est pas le cas, évidemment. Les Bruins ont une très solide équipe, mais le Canadien aussi. Marc Bergevin a renforcé l'attaque en obtenant Thomas Vanek et Dale Weise dans la dernière ligne droite du calendrier. Cela ne nuira pas.

Et les joueurs moins baraqués du CH, comme Brendan Gallagher, David Desharnais, Daniel Brière et Francis Bouillon, ont du culot. Si les Bruins croient intimider le Canadien, ils auront une mauvaise surprise.

Le seul élément troublant dans le cas du Canadien est sa difficulté à marquer des buts en avantage numérique. Les unités spéciales feront en effet la différence dans cette série.

Les joueurs de Michel Therrien doivent absolument améliorer leur pourcentage de réussite en jeu de puissance. Je crois que c'est possible. Il suffit parfois d'un seul beau but pour redonner confiance à tout un groupe. Mais il ne faudra pas trop tarder avant de le marquer. Sinon, les Bruins se croiront tout permis sur la patinoire, coups illégaux compris.

Devant le filet, Carey Price n'a pas été dominant contre Tampa Bay. Comme l'impression qu'il se démarquera dans cette série.

Ma prédiction? Le Canadien en six. Je n'aurais pas dit ça avant la victoire en quatre matchs sur le Lightning. Mais le Canadien a montré beaucoup de conviction dans cette série. L'apport de tous les trios et la vigueur de l'esprit collectif m'ont impressionné.

Un autre élément joue en faveur du CH: la pression est sur les Bruins. Ce sont eux les favoris, ce sont eux les champions du calendrier régulier, ce sont eux qui doivent gagner.

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Alors, comment la série de 1953 s'est-elle terminée? Par une victoire des Glorieux en cinq matchs.

Un but d'Elmer Lach en prolongation, sur une passe de Maurice Richard, a permis au Canadien de remporter sa septième Coupe Stanley. L'accolade entre les deux joueurs fut «tellement brusque que tous deux roulèrent sur la patinoire», écrit Le Canada, qui souligne la contribution d'Émile «Butch» Bouchard à la victoire de l'équipe.

Elmer Lach, Maurice Richard, Émile Bouchard... Lorsque ça compte vraiment, les grands joueurs font la différence. Ça aussi, c'est une vérité qui transcende les époques. Une série contre Boston permet aux meilleurs de construire leur légende et de passer à l'histoire.

Ce n'est pas un hasard si le but le plus célèbre de la carrière de Guy Lafleur a été marqué contre les Bruins. Personne n'a oublié ce puissant tir frappé qui a créé l'égalité en fin de match, en 1979. La qualité de l'adversaire donne une dimension supplémentaire à un exploit.

Alors, quel joueur du Canadien saura se démarquer dans cette série? Thomas Vanek? Carey Price? P.K. Subban? Max Pacioretty? La bonne nouvelle pour le CH, c'est que les prétendants logiques ne manquent pas. Cette équipe est solide et les Bruins le constateront à la dure au cours de la prochaine quinzaine.

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Marc Antoine et moi poursuivons notre route vers Boston. C'est une journée de printemps. Dans quelques heures, le Canadien affrontera les Bruins.

Ce sera un nouveau chapitre d'une longue et passionnante histoire. Non, certaines choses ne changent pas. Et c'est tant mieux.