Ce jour-là, Alex Anthopolous a eu l'impression de gagner à la loterie. Les Expos amorçaient leur calendrier 2002 et, pour la première fois en deux ans, son amour du baseball lui vaudrait un chèque de paie. «C'est comme si j'avais remporté le gros lot du 6/49!», lance-t-il.

Directeur général des Blue Jays de Toronto, Anthopoulos sera de retour à Montréal, la ville où il a grandi, à l'occasion des deux matchs préparatoires entre son équipe et les Mets de New York, demain et samedi. Ce retour aux sources lui rappellera de merveilleux souvenirs. Car pour lui, c'est au Stade olympique que tout a commencé.

Originaire de Ville Mont-Royal, Anthopoulos est devenu fou de baseball à l'adolescence. Les Expos de 1994, alors la meilleure équipe des ligues majeures, ont capté son imagination.

«J'étais fier d'être un partisan de l'équipe, rappelle-t-il. On n'avait jamais connu de moments si excitants. Je me souviens encore d'un circuit décisif de Cliff Floyd contre Greg Maddux, des Braves. On parlait même des Expos à l'émission This Week in Baseball! Ce n'était pas fréquent à l'époque...»

Après avoir fait ses études secondaires et collégiales à Montréal, Anthopoulos a étudié l'économie à l'Université McMaster, à Hamilton. Mais en 2000, il s'est mis à poursuivre un rêve fou: travailler dans le baseball professionnel.

Ses débuts, comme employé bénévole chargé de répondre au courrier des joueurs des Expos, sont bien connus. Ce qui l'est un peu moins, c'est qu'il est venu près de tout abandonner deux ans plus tard, alors que sa jeune carrière semblait condamnée à l'échec.

Pour en apprendre davantage sur son sport préféré, Anthopoulos s'était établi en Floride, où il travaillait dans une académie de baseball. Son salaire? Un lit et quelques repas fournis. Pour joindre les deux bouts, il puisait dans ses économies, qui fondaient à vue d'oeil.

À Montréal, sa famille se demandait s'il n'était pas temps pour lui de se trouver un vrai boulot. «Je m'étais donné deux ou trois ans pour percer. Peut-être avais-je couru assez longtemps après mon rêve. Je ne pouvais continuer ainsi très longtemps, j'arrivais au bout de mon argent...»

Le nouveau DG des Expos, Omar Minaya, donna à Anthopoulos le coup de pouce dont il avait besoin: un stage durant le camp d'entraînement de l'équipe. Quelques semaines plus tard, il l'embauchait à titre de coordonnateur du recrutement. Avec un vrai salaire. Un mois plus tard, Anthopoulos célébrait son 25e anniversaire de naissance. Et sa carrière était lancée.

Avec les Expos, Anthopoulos a découvert de nouvelles facettes de l'industrie du baseball.

«On n'était pas beaucoup d'employés, rappelle-t-il. On travaillait très fort, mais c'était une extraordinaire manière d'apprendre. Je n'aurais pu espérer une meilleure école.

«J'ai donné un coup de main à la comptabilité et au développement des joueurs, j'ai secondé le DG et accompli d'autres tâches administratives. Plus on me donnait de responsabilités, plus j'étais heureux. Je n'avais ni femme ni enfant. Je n'avais d'engagement envers personne. Je me consacrais tout entier à mon travail.»

En 2004, Anthopoulos a accepté une offre des Blue Jays de Toronto. Sa première surprise: le nombre d'employés! Avec sa nouvelle organisation, pas besoin de faire le boulot de trois personnes.

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Cette saison, Anthopoulos amorce sa cinquième saison comme grand manitou des Blue Jays. Lorsque je lui ai parlé au téléphone hier, son équipe venait de marquer huit points en cinquième manche contre les Yankees de New York.

- Alors, quel est le vrai visage des Blue Jays, M. Anthopoulos? Est-ce cette redoutable machine offensive ou plutôt cette équipe qui a connu tant d'ennuis au monticule l'an dernier?

Le directeur général rit en entendant la question. Il est convaincu que ses lanceurs seront collectivement plus efficaces cette saison. Il le faudrait bien, car les Blue Jays ont beaucoup déçu en 2013, après avoir ajouté 50 millions à leur masse salariale. «Avec raison, les attentes étaient élevées», reconnaît-il.

Même s'ils sont la seule équipe canadienne des majeures, les Blue Jays ne semblent pas l'équipe préférée des Québécois. Suffit de discuter avec des amateurs pour comprendre que les Red Sox de Boston et les Yankees de New York soulèvent plus de passions. En disputant deux matchs préparatoires au Stade olympique, l'organisation torontoise espère améliorer son capital de sympathie au Québec.

«La rivalité entre Montréal et Toronto a toujours été très forte au hockey, dit Anthopoulos. Et lorsque les Expos étaient là, les deux équipes avaient une base de partisans distincte. De notre côté, on essaie de percer dans le marché québécois. On a organisé une visite des joueurs durant l'hiver il y a deux ans. Et on dispute deux matchs cette année. Parler et agir sont deux choses différentes. Et là, on commence à agir.»

Anthopoulos affirme que les joueurs des Blue Jays ont hâte aux matchs de demain et samedi. «Ils savent que les foules seront considérables. Et moi, je connais la passion des fans. Tout ça est très excitant. Ça démontre que l'intérêt des Québécois pour le baseball est toujours très fort.»

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Paul Beeston, président des Blue Jays, souhaite le retour des Expos dans les majeures. À son avis, cela donnerait une impulsion au baseball partout au Canada, un développement ultimement bon pour son organisation.

Anthopoulos l'espère aussi. «Peut-être que les Expos seraient toujours à Montréal si un nouveau stade avait été construit au début des années 2000...»

Si ce projet s'était concrétisé, Anthopoulos dirigerait peut-être aujourd'hui l'équipe de sa ville d'origine. Mais les choses se sont déroulées différemment. N'empêche qu'il est merveilleux de voir ce Québécois de 36 ans, parfaitement bilingue, aux commandes d'une équipe des majeures.

Alors, quelle équipe appuierez-vous en 2014? Les Red Sox? Les Yankees? Les Cubs, peut-être? De bons choix, assurément.

Mais parce qu'ils sont derrière ce court retour du baseball au Stade olympique, et aussi parce qu'ils sont dirigés par un gars de Montréal diplômé de l'école des Expos, les Blue Jays seront l'équipe que je surveillerai de près au cours des prochains mois.