En affaires, on dit souvent qu'un gros dossier a besoin de son «champion», c'est-à-dire d'une personne crédible capable de le porter avec énergie.

À ce chapitre, Pierre Karl Péladeau était clairement le champion du retour des Nordiques à Québec. Vu sous cet angle, son saut en politique n'est pas une bonne nouvelle pour les partisans des Bleus.

En revanche, la décision de M. Péladeau de demeurer actionnaire majoritaire de Québecor nuance la situation. Car même s'il abandonne ses fonctions au sein du conglomérat et place ses actions en fiducie «sans droit de regard», un fait demeure: son éventuel retour aux commandes après son passage en politique assure que les gestionnaires défendront les priorités qu'il a établies.

François Legault, le chef de la CAQ, a raison de parler de «conflit d'intérêts apparent», surtout si le Parti québécois remporte les élections et que M. Péladeau est nommé ministre.

Mais cette question éthique, soyez-en sûrs, n'ébranlera pas la LNH. Je crois plutôt qu'elle se réjouira de cette stabilité à la tête de l'entreprise. Un changement de propriétaire remettrait en cause les choix stratégiques de Québecor, ce qui ne sera pas le cas ici.

Cela dit, pour bien comprendre l'évolution du dossier depuis quatre ans, un bref retour en arrière s'impose.

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Le 2 octobre 2010, plus de 50 000 personnes, dont Pierre Karl Péladeau, ont participé à la Marche bleue pour réclamer le retour des Nordiques à Québec. Il s'agit d'un jour charnière dans la tentative de redonner son équipe à la capitale.

M. Péladeau est alors devenu l'un des deux principaux porteurs du projet. L'autre, bien sûr, étant le maire Régis Labeaume.

Depuis ce temps, M. Labeaume a rempli sa part du contrat. Ses efforts ont mené à la construction du nouvel amphithéâtre, qui ouvrira ses portes en septembre 2015. Il en a ensuite cédé la gestion à Québecor.

En annonçant cette entente en mars 2011, le maire a lancé à M. Péladeau une phrase lourde de sens: «Je vous passe la rondelle.» En clair, c'était maintenant au président de Québecor de terminer le travail et d'obtenir une concession de la LNH pour Québec.

Les relations de M. Péladeau avec la LNH ne laissaient pas présager un dénouement rapide. Le bouillant homme d'affaires a en effet indisposé plus d'une fois le commissaire Gary Bettman.

Rappelez-vous: en juin 2009, au moment où Québecor tentait d'acheter le Canadien, Jacques Martin a été nommé entraîneur de l'équipe. M. Péladeau avait publiquement déploré que cette décision soit prise avant le choix des nouveaux propriétaires. En mettant ainsi la charrue devant les boeufs, il ne s'était pas fait d'amis dans le circuit.

Deux ans plus tard, Québecor a contesté devant le CRTC l'exclusivité de l'entente liant le Canadien à RDS pour la télédiffusion des matchs. Cette décision de M. Péladeau a particulièrement déplu à Gary Bettman, qui y a vu une attaque contre son circuit.

En effet, la LNH était partie prenante à ce contrat. Dénoncer devant un organisme réglementaire une entente en bonne et due forme signée par une ligue à laquelle on cherche à se joindre n'était pas l'idée du siècle.

M. Péladeau a-t-il appris de ces erreurs? Sans doute, car il s'est montré plus prudent par la suite, prenant soin de ne pas égratigner la LNH.

Puis, en mars 2013, M. Péladeau a quitté la présidence de Québecor. La veille de son annonce, il a appelé Régis Labeaume pour lui signifier qu'il demeurerait le maître d'oeuvre de certains dossiers stratégiques, dont celui du retour des Nordiques. Le maire s'en est réjoui, affirmant que PKP aurait «encore plus de temps pour s'en occuper».

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Cette fois, la situation est différente. Maintenant en politique, M. Péladeau aura d'autres préoccupations. En ce sens, il s'agit d'un recul puisqu'il est bien évident que Gary Bettman ne connaît pas aussi bien Robert Dépatie, le grand patron de Québecor depuis le printemps dernier.

Or, les relations interpersonnelles jouent toujours un rôle dans des discussions semblables. Et même si Gary Bettman n'a pas toujours approuvé les décisions de PKP, parions qu'il respecte son parcours en affaires. D'autant plus que Québecor se distingue dans les secteurs de la télévision et des médias numériques, deux axes au coeur de la stratégie de développement de la LNH.

Cela dit, un événement significatif s'est produit avant le passage en politique de M. Péladeau: Québecor est devenue partenaire de la LNH. En s'associant à Rogers, nouveau diffuseur du circuit au Canada, l'entreprise a réussi un grand coup.

Ainsi, Québecor a fait oublier ses erreurs du passé auprès de la LNH et s'est placée dans les bonnes grâces de Gary Bettman. La présence de Robert Dépatie à la conférence de presse tenue à Toronto ce jour-là était significative.

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En demeurant propriétaire de Québecor, M. Péladeau rassurera le siège social de la LNH, même si sa profession de foi souverainiste pourrait indisposer certains propriétaires d'équipe, notamment celles établies au Canada. Mais en confiant à Brian Mulroney un rôle important dans ce dossier, Québecor fait aussi une place à la famille fédéraliste.

Avec son réseau de télévision sportive et ses initiatives numériques, Québecor serait un propriétaire intéressant pour la LNH. Mais d'autres facteurs joueront aussi un rôle, comme la valeur du huard. Sa baisse devant la devise américaine diminue déjà les revenus du circuit et augmente la facture des équipes canadiennes, qui paient leurs joueurs en dollars US.

Mais au bout du compte, si la LNH décide de mettre deux nouvelles équipes aux enchères, le montant que seront prêts à verser des investisseurs crédibles, et dotés d'un solide plan d'affaires, fera la différence.

Pour être admis dans ce club sélect, il faudra des poches profondes.