À Maranello, chef-lieu de Ferrari en Italie, une bouteille de champagne est au frais à l'intention d'un Québécois de Sainte-Thècle, en Mauricie.

«J'ai bien l'impression que je pourrai aussi faire un tour de machine!», lance Éric Bédard, rêvant déjà de s'asseoir derrière le volant d'un bolide rouge.

Le parcours de Bédard, l'entraîneur-chef de l'équipe italienne de patinage de vitesse sur courte piste, est un conte de fées.

En 2006, après les Jeux de Turin où il a remporté une médaille d'argent au relais, Bédard a mis fin à sa carrière d'athlète. À l'âge de 29 ans, il devait gérer cette nouvelle étape de sa vie.

Élevé dans une famille où l'encadrement des jeunes était une manière de vivre - sa mère a enseigné la première année durant 30 ans et son père a été responsable des sports au Collège Shawinigan -, le coaching l'a vite attiré.

En 2008, alors entraîneur de patineurs juniors à Montréal, Bédard reçoit un courriel d'Allemagne. Est-ce que ça vous intéresserait de diriger notre équipe? «Deux semaines plus tard, j'ai signé mon contrat dans les bureaux de la Fédération à Munich.»

Sous la gouverne de Bédard, les patineurs allemands ont progressé. Les Italiens l'ont remarqué et lui ont offert la direction de leur équipe en vue des Jeux de Sotchi. «Leurs athlètes avaient un bon potentiel. Moi, je voulais gagner, alors j'ai accepté l'offre.»

À son arrivée à Courmayeur, un village situé au pied du mont Blanc, Bédard ne disait pas un mot d'italien. Quatre ans plus tard, il le parle couramment. «J'ai appris dans les livres et en côtoyant mes patineurs. À la cafétéria, je leur demandais comment on disait fourchette, assiette, sel et poivre...»

Ce respect envers son pays d'accueil l'a aidé à établir son influence. Il a invité un autre entraîneur québécois, Kenan Gouadec, à le seconder. Leurs patrons leur ont fixé un objectif: remporter une médaille à Sotchi.

Au bout du compte, les patineurs italiens sont montés trois fois sur le podium! «C'est très satisfaisant», dit Bédard, un sourire aux lèvres.

Trois médailles, c'est autant que le Canada...

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Un an après son arrivée en Italie, l'écurie Ferrari a proposé son aide à Bédard. À la demande du Comité olympique italien, la Scuderia offre en effet son expertise à plusieurs sports.

«Les bobsleighs italiens, par exemple, sont de Ferrari, explique Bédard. Quant à nous, ils ont renforcé des composantes de nos patins avec des boulons et des rondelles de haute technologie. Ils coupent aussi nos lames. Il a fallu deux années pour établir leur gabarit. Et ils conçoivent actuellement une machine à aiguiser très sophistiquée.»

Au fil des mois, l'équipe de patinage de vitesse et les ingénieurs de Ferrari ont tissé des liens d'amitié. Lorsque la patineuse Arianna Fontana est montée sur le podium au début des Jeux, Bédard a tout de suite reçu un courriel de Maranello: on t'attend pour célébrer cette médaille au champagne!

«Mes patineurs sont très émotifs, on traverse des montagnes russes de sentiments, dit Bédard. J'essaie souvent de détendre l'atmosphère. Mais lorsqu'il faut travailler, il faut travailler. Avant un long camp d'entraînement, je ne leur fais pas de cachettes: ça va faire mal, vous allez me haïr, vous allez rêver de rentrer à la maison. Mais si vous désirez des résultats, il faut passer par là...»

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En écoutant Bédard, on comprend que les patineurs canadiens auront la tâche toujours plus difficile aux Jeux olympiques. Tout simplement parce que la concurrence est vive comme jamais.

«Beaucoup de pays augmentent leurs investissements, dit-il. Ça finit par produire un effet. Et si chaque pays promet cinq médailles, il va finir par en manquer!

«Ce phénomène n'est pas unique au patinage. Le sport s'internationalise et ça bouscule les repères traditionnels. Au hockey, les Russes ont été éliminés en quarts de finale; en ski alpin, Jan Hudec donne une médaille olympique au Canada. Ça joue de tous les côtés...»

Le contrat de Bédard en Italie prend fin bientôt. Ses patrons souhaitent qu'il le renouvelle, mais il attendra les offres. Plusieurs pays sont intéressés par ses services. «Pour moi, la priorité, c'est de travailler avec une équipe qui a son centre d'entraînement. On discutera de salaire ensuite.»

Bédard prendra sa décision au printemps. Mais pas avant de sabler le champagne à Maranello. Et vous savez quoi? La bouteille mériterait d'être un magnum.

Pourquoi pas Marie-Philip Poulin?

Quel athlète portera le drapeau canadien à la cérémonie de clôture des Jeux de Sotchi?

S'agira-t-il de Denny Morrison, gagnant de médailles d'argent et de bronze en patinage longue piste? De Gilmore Junio, ce jeune homme ayant eu la galanterie de lui céder sa place au 1000 m?

On saura bientôt. Mais souhaitons que le Comité olympique canadien (COC) étudie aussi la candidature de Marie-Philip Poulin. En marquant les buts égalisateur et gagnant contre les Américaines jeudi, elle a accompli un formidable exploit. Son cran a été célébré d'un bout à l'autre du Canada.

Poulin avait aussi fait la différence en 2010, comptant les deux buts d'Équipe Canada lors de sa victoire en finale. Son parcours olympique est déjà très riche.

Plus encore: la retenue de Marie-Philip dans la victoire est remarquable. Malgré ses réussites, la jeune attaquante de 22 ans a rappelé qu'il s'agissait d'une victoire d'équipe, refusant de s'attribuer un gramme de mérite additionnel.

«Marie-Philip est une personne extraordinaire, dit sa coéquipière Caroline Ouellette. Malgré ses blessures, elle a continué de travailler très fort et de nous encourager. Toujours avec le sourire. Elle est une super leader au sein de notre équipe. Et elle est la meilleure joueuse au monde.»

La sélection de Marie-Philip Poulin serait aussi un coup de chapeau aux athlètes du Québec, souvent inspirants durant ces Jeux.