Les yeux brillants, appuyant sur chaque syllabe, René Fasel expliquait la signification d'une médaille d'or olympique dans la vie d'un athlète. «Rien, absolument rien, ne vaut cela!»

Assis à ses côtés, un petit sourire aux lèvres, Gary Bettman a interrompu l'élan oratoire de Fasel. «À part, peut-être, remporter la Coupe Stanley...»

Les dizaines de journalistes devant eux ont éclaté de rire. Mais au-delà de la blague, ce court échange symbolise à merveille les divergences de vues entre le président de la Fédération internationale de hockey sur glace (FIHG) et le commissaire de la LNH.

Pour Fasel, l'olympisme est la valeur suprême en sport. Et la participation des joueurs de la LNH aux Jeux représente un moment fort de leur carrière.

Pour Bettman, le tournoi olympique de hockey est, au mieux, une option parmi d'autres pour augmenter le rayonnement de son sport sur la scène internationale. Et, au pis, une interruption inutile de la saison régulière.

D'ailleurs, sans la pression des joueurs qui tenaient à venir à Sotchi, la LNH aurait volontiers fait l'impasse sur ce rendez-vous. La compétition est peut-être excitante, mais Bettman entretient manifestement des doutes sur l'ampleur des retombées pour son circuit.

Suffit d'évoquer avec lui les effets du décalage horaire pour le comprendre. Oui, le duel de samedi entre les États-Unis et la Russie a été enlevant. Sur Twitter, Barack Obama a même félicité T.J. Oshie, le héros du match. Mais la rencontre a été présentée dans un créneau horaire désavantageux.

«Le match a commencé à 7h30 du matin sur la côte est de l'Amérique du Nord, encore plus tôt dans l'ouest, a rappelé Bettman. Ce n'est pas la même chose qu'à 19h30, dans une période de grande écoute. Il y a une myriade de facteurs dans la recherche d'un équilibre. Et celui-là en est un.»

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Fasel et Bettman étaient accompagnés de Donald Fehr, le directeur de l'Association des joueurs, durant ce point de presse. Aucune nouvelle n'a été annoncée, mais les propos des trois hommes ont permis de mieux saisir leurs priorités.

Tenez, cet échange à propos de l'importance du tournoi de hockey dans le budget des Jeux olympiques est significatif.

Bettman: «À Vancouver en 2010, le hockey a représenté environ 40% des billets vendus pour les compétitions sportives. Cela a généré entre 60 et 70% des revenus de billetterie.»

Réplique de Fasel: «Le budget d'opération de ces Jeux a été de 1,7 milliard. Les revenus de billetterie ont été de 280 millions. C'est une très modeste part. La contribution du Comité international olympique (CIO) a été de 700 millions.»

La LNH ne tire aucun revenu de la participation de ses joueurs aux Jeux. On comprend donc pourquoi Bettman s'est fait tirer l'oreille avant de donner son accord.

Au bout du compte, le CIO et la FIHG ont acquitté les frais de transport des joueurs (quatre vols nolisés). Ils ont aussi versé les primes pour assurer leurs contrats en cas de blessures, une somme évaluée à plus de 7 millions. La LNH a également obtenu des droits sur des images du tournoi olympique pour son site web.

Pour une ligue voulant augmenter ses revenus, les Jeux olympiques ont leurs limites. Voilà pourquoi la LNH aimerait organiser une Coupe du monde. Maître d'oeuvre du projet, elle toucherait une part des profits, tout comme l'Association des joueurs, un principe consacré dans la nouvelle convention collective.

Ce plan inquiète René Fasel. Il s'oppose à la tenue d'une Coupe du monde si celle-ci entraîne la fin de l'aventure olympique des joueurs de la LNH. «Ce serait une grosse erreur», dit-il.

Hier, Gary Bettman a répété que le circuit aimerait décider dans les six prochains mois si les joueurs iront à Pyeongchang en 2018. Donald Fehr a été plus prudent, répétant qu'il devra d'abord consulter ses membres. Quant à la FIHG, elle souhaite une entente et se soucie moins de l'échéancier.

Fasel sait que les joueurs sont ses alliés. Ils ont grandi en voyant les exploits olympiques de leurs prédécesseurs à la télé. Ils veulent vivre à leur tour cette expérience. Plusieurs directeurs généraux partagent leur enthousiasme. À son arrivée à Sotchi, Steve Yzerman a été clair à ce chapitre.

Fasel mise sur ce soutien. Il s'assure donc que les joueurs soient traités aux petits soins à Sotchi afin qu'ils en repartent avec de beaux souvenirs. «Leurs bagages étaient au Village olympique avant leur arrivée, mentionne-t-il, à titre d'exemple. Ce ne fut pas le cauchemar de Turin...»

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René Fasel en mène large dans le hockey international. Mais pas autant que Gary Bettman. Celui-ci semblant en faveur d'une Coupe du monde, et Donald Fehr lui donnant son appui, le projet se concrétisera sans doute bientôt.

Mais cela ne signifie pas que la LNH fera l'impasse sur les Jeux olympiques. Le commissaire adjoint Bill Daly a dit hier que les deux événements pouvaient coexister.

Et comme les joueurs adorent les Jeux, il ne serait pas étonnant de les voir à Pyeongchang en 2018. «On veut augmenter notre visibilité, et celle du hockey en général, sur la scène internationale, dit Daly. C'est une priorité d'affaires pour nous.»

Abandonner la vitrine olympique, et son immense retentissement mondial, ne serait pas un pas dans la bonne direction.

Québec ou Seattle?

Bill Daly a tenu des propos élogieux à propos de Seattle comme marché de hockey le mois dernier. Ce n'est pas la première fois que le commissaire adjoint explique à quel point la LNH est «intriguée» par le potentiel du nord-ouest américain.

- Dites donc, M. Daly, savez-vous que chaque fois que vous dites ça, les gens de Québec s'étouffent dans leur café?

Daly, un homme plutôt sympathique, sourit. «Lorsqu'on me pose la question, je réponds toujours la même chose: la région du nord-ouest est un bon endroit pour le hockey. Mais je peux dire pareil à propos de Québec. Je crois aussi qu'il s'agit d'un très bon marché de hockey, avec des amateurs passionnés.»

Daly a précisé que la LNH pourrait peut-être un jour discuter d'expansion, mais que cette heure n'avait pas encore sonné.

Il n'en reste pas moins que la LNH a réglé trois dossiers majeurs au cours des derniers mois: nouvelle convention collective, stabilisation des concessions en difficulté et nouveau contrat de télé au Canada. Elle est maintenant prête à envisager des projets de développement. Et l'expansion est une option intéressante.

L'avenir du hockey féminin

Les deux demi-finales de lundi ont montré les deux visages du hockey féminin. Si le match entre le Canada et la Suisse a été étonnamment serré, celui opposant les États-Unis à la Suède a été à sens unique.

Qu'à cela ne tienne, René Fasel a écarté hier toute possibilité que le hockey féminin perde sa place aux Jeux. «Cela n'arrivera jamais», a-t-il tranché.

En plus d'être président de la Fédération internationale de hockey, Fasel est membre du Comité international olympique, où il siège à la commission exécutive.

«Le hockey olympique est très compétitif chez les hommes, a-t-il dit. On a besoin d'un peu plus de temps avec les femmes. Il y a 60 000 joueuses aux États-Unis, 80 000 joueuses au Canada, contre quelque 2000 par pays en Europe. Il faudra réduire l'écart. Ce sera mieux à Pyeongchang.

«Au début, il y avait le Canada, les États-Unis, la Suède et la Finlande. Maintenant la Russie monte, la Suisse monte, le Japon monte.

«On a besoin de temps, donnez-moi simplement un peu de temps...»

Les percées de plusieurs pays européens en hockey masculin donnent raison à Fasel.

Qui, il y a 20 ans, aurait cru la Norvège capable d'offrir une aussi bonne opposition au Canada et à la Russie?