Une heure après la fin de la compétition, debout dans un recoin de l'amphithéâtre, Patrick Chan se disait heureux d'avoir remporté la médaille d'argent.

Autour de lui, les journalistes affichaient un certain scepticisme. Le sourire du triple champion du monde avait en effet l'air d'un bouclier. Comme si un visage réjoui avait le pouvoir de repousser une immense déception.

- Voyons, Patrick, tu parles de l'or depuis les Jeux de Vancouver, a lancé une collègue.

Chan a souri de nouveau, avant de lancer: «Au bout du compte, ça me frappera peut-être en rentrant à la maison. Je regarderai ma médaille d'argent en pensant que celle en or m'attendait. Et que je n'ai pas saisi l'occasion...»

La route vers la plus haute marche du podium s'est ouverte à Chan de manière inattendue, vendredi, à Sotchi. Yuzuru Hanyu, premier à l'issue de son remarquable programme court de jeudi, patinait juste avant lui. Le prodige japonais de 19 ans n'a cependant pas répété ses exploits de la veille, chutant à deux reprises.

Lorsque Chan s'est présenté sur la patinoire, il savait qu'une performance réussie lui vaudrait le titre olympique. Mais il a aussi raté des sauts, gardant péniblement l'équilibre en mettant la main sur la glace. Dès lors, ses chances de combler son retard sont disparues.

Pour les patineurs canadiens, la malédiction olympique continue. Ils ont remporté 14 fois le Championnat du monde, mais jamais la médaille d'or aux Jeux.

Parmi ceux qui ont obtenu l'argent avant Chan, on retrouve Brian Orser. Il est aujourd'hui l'entraîneur de Yuzuru Hanyu. L'ironie de la situation ne lui a pas échappé.

«Si un jeune patineur talentueux me demande de l'aider, j'accepte, a-t-il dit. Le métier d'entraîneur ne connaît pas de frontières. Quand Brian Boitano, un Américain, m'a battu aux Jeux de Calgary en 1988, son chorégraphe était canadien. Et son apport a été déterminant. Notre métier est international.»

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La pression sur les épaules de Hanyu et de Chan était gigantesque lorsqu'ils ont amorcé le programme long.

Les deux hommes savaient que la victoire se jouerait entre eux. Leur avance sur les autres concurrents après le programme court était trop grande pour qu'il en soit autrement. Leur combat aurait lieu sur la plus grande scène sportive du monde, celle des Jeux olympiques, devant des millions de téléspectateurs partout dans le monde.

Plus tôt dans la journée, Elvis Stojko m'avait expliqué leur véritable état d'esprit. En l'écoutant, j'ai compris qu'il fallait se méfier des beaux discours des athlètes sur la nécessité de «savourer le moment». Car lorsque l'or olympique est en jeu, les heures qui précèdent la compétition sont terribles pour les nerfs.

«Toute la journée, tu te demandes comment tu patineras, m'a dit Stojko. L'intensité est à son comble, tu sens une boule dans ton estomac. Devant les autres, tu demeures stoïque. Mais à l'intérieur, c'est un combat. Tu sais que tu portes les espoirs de tout le pays. Il faut vaincre ses démons.»

Stojko, le plus dynamique patineur de l'histoire canadienne, a participé quatre fois aux Jeux, obtenant deux médailles d'argent. Des résultats merveilleux, certes, mais son rêve de remporter l'or ne s'est pas matérialisé. Une blessure lui a notamment nui en 1998.

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Les performances de Hanyu et Chan ont démontré à quel point Stojko a vu juste. La pression était immense et aucun des deux n'a réussi à la harnacher. Ce ne fut pas le plus impressionnant programme long de l'histoire de Jeux.

Hanyu était un peu dépité en quittant la patinoire. Orser l'a rassuré d'une simple phrase: «Ce n'est pas fini tant que ce n'est pas fini...»

- Et toi, Yuzuru, pensais-tu gagner l'or à ce moment?

- Non. J'étais si fatigué!

Orser a ajouté: «Ça n'a pas été la meilleure performance de Yuzuru. Il s'en voudra un peu. Mais ç'a été suffisant. Une victoire est une victoire. Le coussin qu'il s'est donné au programme court a été suffisant. C'est là qu'il a été magique.»

L'entraîneur canadien a aussi trouvé les bons mots pour réconforter Hanyu lorsque celui-ci lui a avoué sa grande angoisse avant l'épreuve: «C'est normal, ce sont les Jeux olympiques!», a-t-il dit.

Plus tard, peu avant l'annonce officielle des résultats, je me suis retrouvé directement à côté d'Orser et Hanyu, devant un écran de télévision. Ce dernier regrettait encore ses erreurs du programme long. Orser l'a regardé dans les yeux et a dit: «N'oublie pas que la médaille d'or est la combinaison des programmes court et long. Savoure ta victoire.»

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Kathy Johnson, une spécialiste de la danse, conseille Chan. C'est elle qui était à ses côtés lorsque ses notes ont été dévoilées.

«La porte était ouverte... Mais comme Hanyu, Patrick a éprouvé des ennuis. Il ne doit pas analyser sa carrière sur cette seule journée. Il est un des meilleurs patineurs de l'histoire. Il peut être fier de tout ce qu'il a accompli.

«C'est bizarre lorsqu'on y pense, a-t-elle ajouté. Une médaille d'argent est fantastique. Mais la barre est tellement élevée lorsqu'il est question de Patrick. On le juge selon des standards différents des autres patineurs.»

Chan, qui a aidé l'équipe canadienne à terminer deuxième de la nouvelle compétition par équipes plus tôt cette semaine, a fait la même lecture des événements. «J'ai raté une chance aujourd'hui [vendredi]. Je suis déçu. Mais je quitte tout de même Sotchi avec deux médailles d'argent au cou. Personne ne peut m'enlever ça, ni mes trois championnats du monde.»

Le patineur de 23 ans a entièrement raison. Ses réussites sont exceptionnelles. Il n'en reste pas moins que son incapacité à franchir l'immense porte laissée ouverte par Hanyu lui laissera un sentiment d'inachevé.

Une médaille d'or aurait été le couronnement de la carrière de Patrick Chan. Profitera-t-il d'une autre occasion?

Visite présidentielle

En après-midi vendredi, Marcel Aubut a appris que Vladimir Poutine visitait la Maison olympique des États-Unis, située à côté de celle du Canada, au Parc olympique.

En moins de deux, le patron du Comité olympique canadien (COC) s'est rendu chez les voisins américains, où il a ses entrées depuis l'ouverture des Jeux. Il s'est adressé à l'interprète de Vladimir Poutine: «Le président accepterait-il de s'arrêter un moment chez nous?»

La réponse de M. Poutine a été instantanée: «Oui.» Quelques minutes plus tard, à la surprise générale des Canadiens réunis pour célébrer la Saint-Valentin, le président de la Russie a fait son apparition. Il a prononcé quelques mots, souhaitant notamment bonne chance au Canada durant les Jeux, «sauf en hockey»!

M. Poutine est demeuré une vingtaine de minutes à la Maison du Canada. Marcel Aubut l'a remercié de l'accueil de la Russie et a souligné la qualité des installations. Réponse de M. Poutine: «On a fait de notre mieux.»

François Hamelin se remet

Fabien Abejean, conseiller psychologique de l'équipe canadienne de patinage de vitesse sur courte piste, assure que François Hamelin a repris des couleurs, vendredi, après la déception de jeudi.

«L'émotion a été forte, il y a eu des larmes, explique-t-il. Mais l'appui de ses coéquipiers a été fondamental. Ses parents et sa blonde ont aussi été très présents.»

Durant les qualifications du relais, François Hamelin a chuté et l'équipe a été exclue de la finale, une course où elle était favorite pour l'emporter. «Il s'est déjà projeté dans l'avenir en se fixant de nouveaux objectifs. L'équipe est forte. Dans l'adversité, tout le monde s'est regroupé. Ce sont des athlètes de haut niveau.»

Les patineurs canadiens doivent vite oublier ce faux pas. Car dès samedi, deux finales individuelles seront présentées. Les filles courront le 1500 m et les garçons, le 1000 m.