À 100 jours de l'ouverture des Jeux de Sotchi, nous sommes en panne de magie olympique. C'est regrettable, puisque ce rendez-vous promet des performances sportives mémorables.

Ce manque d'enthousiasme est singulier. Bien sûr, des doutes subsistaient aussi avant les Jeux de 2010 et de 2012. Mais ils étaient liés à des enjeux comme l'absence de neige (Vancouver) et la sécurité (Londres).

Sans oublier les épineuses questions de transport, toujours un casse-tête logistique.

Cette fois, l'inquiétude est différente. Ce n'est pas sur le plan organisationnel que les Jeux de Sotchi posent problème. On devine déjà que la machine sera bien huilée. Après tout, si les Russes ont investi des sommes colossales dans l'aventure, on peut croire que le trajet entre les deux pôles de compétition, la ville et la montagne, s'accomplira rondement.

La météo? Même s'il fait doux sur les rives de la mer Noire, des quantités ahurissantes de neige ont été stockées dans les montagnes. La sécurité? Comptons sur le gouvernement russe pour assurer un contrôle complet.

Non, si ces Jeux nous préoccupent, c'est en raison des valeurs qui en sont venues à les caractériser: l'homophobie et l'argent dépensé à outrance.

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Lundi dernier, Vladimir Poutine a reçu Thomas Bach, le nouveau président du Comité international olympique (CIO), à Sotchi.

«Nous faisons tout pour que les sportifs, les spectateurs et les visiteurs se sentent bien aux Jeux olympiques, peu importe leur nationalité, leur appartenance ethnique ou leur orientation sexuelle», a dit le président russe.

La loi interdisant la «propagande homosexuelle», adoptée en juin dernier, a provoqué un tollé dans les pays occidentaux, où elle est perçue avec raison comme une attaque envers les membres de la communauté gaie et les droits de la personne.

Après une période de flou, où les dirigeants russes ont tenu des propos contradictoires sur ce qui constituerait une infraction criminelle à Sotchi, Poutine veut calmer la tempête. C'est la seule manière d'interpréter ses propos de lundi. Ces Jeux, qui façonneront en partie son héritage, n'ont pas bonne image.

Quant au CIO, on ignore toujours comment il réagira si des athlètes ou des officiels expriment leur opposition à la loi durant les Jeux. Seront-ils retournés à la maison s'ils portent une épinglette arc-en-ciel? Voilà qui créerait une immense controverse et ébranlerait la crédibilité du mouvement olympique.

La facture de 50 milliards pose aussi problème. Même si ces investissements s'intègrent dans un plan de développement de la région - l'idée est d'en faire une station touristique courue -, ce montant illustre la folie des grandeurs si chère au CIO. Promettez des installations flambant neuves et vos chances d'obtenir les Jeux sont multipliées.

Heureusement, des villes, effrayées par cette inflation galopante, ont rappelé le CIO à l'ordre au cours des derniers mois. La course aux Jeux d'hiver de 2022 en fournit une preuve.

La date limite pour soumettre une candidature est le 14 novembre. L'ancien président du CIO, Jacques Rogge, souhaitait que le duo Davos/Saint-Moritz, en Suisse, soit candidat. Consultés par référendum l'hiver dernier, les électeurs ont refusé.

Stockholm, qui craint les coûts, ne semble plus guère intéressé. Et Barcelone, qui souhaitait tenir les Jeux avec une station des Pyrénées, a abandonné ses plans.

Thomas Bach, un Allemand, aimerait bien que Munich soit candidat. Il obtiendra sa réponse le 10 novembre, jour de référendum dans la région.

Un «Non» constituerait un sérieux pied de nez au CIO. Du coup, la Norvège (Oslo-Lillehammer) deviendrait grande favorite, si elle officialise sa candidature. Ses rivales seraient - pour l'instant - l'Ukraine (Lviv) et le Kazakhstan (Almaty), deux régions qui soulèveront plusieurs questions. La course à l'obtention des Jeux pourrait être terminée avant même d'avoir commencé. Ce n'est pas le scénario rêvé pour le CIO.

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Cent jours, c'est peu pour modifier la perception initiale des Jeux de Sotchi. On verra en février si, pour reprendre l'expression de Poutine, tout le monde se sentira «bien».

Sur le plan sportif, le hockey occupera une place de choix, tant du côté féminin (le choc États-Unis-Canada) que masculin. La LNH a accepté la participation de ses joueurs, même si l'idée n'emballe pas Gary Bettman.

Un refus aurait cependant constitué un faux pas diplomatique qui aurait empoisonné les relations entre son circuit et la fédération russe. Le hockey est un sport majeur en Russie, et les amateurs veulent voir les meilleurs joueurs du monde.

En entrevue à la CBC au début du mois, Bettman n'a pas caché sa réserve: «Nous brisons le rythme de notre saison à un moment qui nous appartient, puisque la NFL n'est pas en activité. Et le décalage horaire de neuf heures fera en sorte que les matchs seront diffusés sur la côte Est entre 4h et 14h. Ce n'est pas exactement un moment de grande écoute...»

Les Jeux d'hiver de 2018 auront lieu en Corée du Sud. Pas sûr que les joueurs de la LNH y seront.

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Dans toutes les disciplines, les athlètes nous offriront à coup sûr des performances remarquables. On a déjà hâte de voir à l'oeuvre Alex Harvey, Mikaël Kingsbury, Alexandre Bilodeau, Justine Dufour-Lapointe, Erik Guay, Charles Hamelin, Marianne Saint-Gelais et leurs collègues des quatre coins du monde.

Si, au bout du compte, les Jeux de Sotchi produisent une magie olympique, ce sera à eux qu'on la devra.