Roger Goodell, le commissaire de la NFL, est un homme occupé. Si occupé, en fait, qu'il a déclaré cette semaine ne pas avoir le temps de regarder League of Denial, l'extraordinaire documentaire de PBS diffusé mardi.

Réalisé grâce au travail de deux journalistes d'enquête, les frères Steve Fainaru et Mark Fainaru-Wada, ce film de deux heures raconte comment la NFL a minimisé les terribles impacts des commotions cérébrales sur la vie de ses joueurs.

Goodell, tout comme son prédécesseur Paul Tagliabue, est un personnage clé de ce récit bâti comme un suspense. Ce dernier paraît d'ailleurs très mal, allant jusqu'à nommer un rhumatologue, plutôt qu'un spécialiste du cerveau, à la tête d'un comité pour évaluer le dossier des commotions cérébrales.

Durant plusieurs années, ce comité produira des rapports affirmant que les répercussions des commotions sont minimales, en plus d'attaquer durement les experts qui, preuves à l'appui, démontreront le contraire.

L'un d'eux, le docteur Bennet Omalu, recevra même cet avertissement d'un collègue associé à la NFL: «Tu vois, si 10% des mères dans ce pays commencent à croire que le football est un sport dangereux, c'est la fin du football.»

En 2009, Goodell est invité à témoigner devant le Congrès américain. Lorsqu'une élue fait le lien entre l'attitude de la NFL à propos des commotions cérébrales et celle de l'industrie du tabac avec le cancer du poumon, Goodell comprend avoir perdu la guerre des relations publiques.

Il annonce alors une série d'initiatives, dont une contribution financière aux travaux de recherche de l'Université de Boston, leader du domaine.

«La NFL a certainement apporté des changements, même si la quasi-totalité d'entre eux sont venus sous la pression du Congrès ou des médias», a expliqué Fainaru-Wada, dans une récente entrevue au New England Sports Network.

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L'histoire de League of Denial commence avec Mike Webster, joueur-vedette des Steelers de Pittsburgh, victime de démence après 17 saisons dans la NFL. Un médecin compare chacun des coups qu'il a donnés et reçus dans sa carrière à celui qu'on reçoit en frappant, au volant de sa voiture, un mur de briques à 55 kilomètres à l'heure.

Les images du corps de Webster sont terribles: ses pieds et ses jambes ont souffert de ces combats à la ligne de mêlée. À la fin de sa vie, ayant tout perdu, Webster vivait dans un pick-up. Son fils se souvient qu'un jour, un fan le reconnut dans la rue:

- Êtes-vous Mike Webster?

- J'avais l'habitude de l'être.

En 2002, après sa mort à l'âge de 50 ans, on découvrira que Webster souffrait d'encéphalopathie traumatique chronique (ETC), un état proche de la maladie d'Alzheimer.

Dans un autre moment fort du documentaire, Leigh Steinberg, le célèbre agent de joueurs, rappelle sa conversation avec Troy Aikman dans un hôpital après un match.

Le quart-arrière des Cowboys de Dallas lui demanda pourquoi il se retrouvait dans cette chambre. «Tu as eu une commotion cérébrale», répondit Steinberg. Aikman voulut ensuite savoir si les Cowboys avaient gagné - oui, et s'il avait lui-même bien joué - oui.

«Troy était content d'entendre mes réponses, dit Steinberg. Mais cinq minutes plus tard, il me posa exactement les mêmes questions dans un ordre identique. Même chose 10 minutes plus tard. J'étais terrifié...»

Au-delà de ces témoignages, c'est le combat de tous ceux - et celles - voulant faire éclater la vérité sur les véritables effets des commotions cérébrales qui donne sa puissance au documentaire.

Ann McKee, une spécialiste de l'Université de Boston, analysera les cerveaux d'anciens joueurs: 45 sur 46 montreront des traces d'ETC. Un jour, la NFL l'invita à présenter ses conclusions devant ses propres médecins. L'accueil ne fut pas chaleureux. «Ils étaient habités par le déni», dit-elle.

Deux autres femmes joueront un rôle essentiel: Eleanor Perfetto et Lisa McHale, mariées à d'anciens joueurs victimes de démence. Leurs témoignages et leur opiniâtreté forceront la NFL à modifier son approche.

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En 2007, la NFL a distribué à ses joueurs une brochure intitulée Qu'est-ce qu'une commotion cérébrale? À l'intérieur, on lisait que «la recherche ne démontre pas» qu'elles provoquent des problèmes permanents au cerveau.

En août dernier, soit six ans plus tard, la NFL a accepté de verser 765 millions à ses anciens joueurs, en plus d'assumer leurs frais d'avocats, en guise de compensation. Dans ce règlement hors cour, le circuit ne reconnaît cependant pas sa responsabilité quant aux effets des commotions cérébrales sur leur qualité de vie.

Bien sûr, la NFL n'a pas agi par grandeur d'âme. Mais plutôt pour éviter une facture potentiellement plus salée au terme d'un procès.

Cette semaine, Roger Goodell a répété au New York Times que la NFL ne trompe jamais ses joueurs. Vous savez quoi? Il devrait prendre deux heures de son précieux temps pour regarder le documentaire de PBS.

Facture réduite

J'aimerais vous dire que la compensation d'environ 1 milliard (765 millions + les frais juridiques) que la NFL versera à ses anciens joueurs fera un peu mal à ses finances.

Ce ne sera pas le cas. Selon le Sports Business Journal, les équipes, plutôt que le siège social, régleront la note. Il s'agira d'une dépense d'affaires admissible à une déduction fiscale. Compte tenu des immenses profits générés par les clubs, leur facture d'impôts sera moins élevée.

La NFL ne pourrait elle-même agir ainsi, puisque le Congrès américain lui a accordé en 1966 le statut d'organisation à but non lucratif. Les activités du siège social, et non celles des équipes, sont couvertes par cette disposition.