Les Jeux de Sotchi ne sont pas encore commencés, mais Vladimir Poutine semble avoir déjà gagné.

Le Comité international olympique (CIO), après avoir obtenu des «assurances» indiquant que les droits des athlètes en Russie seront respectés malgré l'adoption d'une loi interdisant la «propagande» homosexuelle, semble prêt à sanctionner ceux qui souhaiteraient manifester, durant les Jeux, leur opposition à cette mesure.

Décidément, les derniers jours ont été profitables au président de la Russie. Tout en se montrant habile dans le dossier des armes chimiques en Syrie, il a veillé à ses intérêts olympiques.

Mardi dernier, peu après son élection à la présidence du CIO, Thomas Bach a reçu un appel de félicitations de Vladimir Poutine. L'entretien s'est sûrement déroulé à la satisfaction du maître du Kremlin. Bach n'a même pas jugé utile d'évoquer la loi controversée.

Dans cette affaire, le gouvernement russe et le CIO partagent désormais le même objectif: éviter que des démonstrations perturbent le déroulement des Jeux et volent la vedette aux exploits sportifs.

La Russie ne souhaite évidemment pas de cette mauvaise publicité internationale. Quant au CIO, il veut protéger ses intérêts économiques. Les partenaires corporatifs des Jeux, qui pompent des millions de dollars dans l'événement, sont allergiques à la controverse. Tout ce qui pourrait détourner l'attention de la performance des athlètes, comme l'expulsion de certains d'entre eux, les inquiète.

«Les commanditaires, surtout ceux des États-Unis, craignent cela», a déclaré Gerhard Heiberg, chef de la commission de marketing du CIO, au Chicago Tribune. «Ça pourrait ruiner beaucoup de choses pour nous tous. On doit se préparer. On doit s'en tenir au règlement 50.»

À son alinéa 3, cette clause de la Charte olympique énonce: «Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique.»

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Un des principaux défenseurs de la ligne dure devant d'éventuelles protestations d'athlètes est Richard Pound. Longtemps vice-président du CIO, l'avocat montréalais a été battu par une seule voix, la semaine dernière, dans sa tentative de réintégrer la Commission exécutive, véritable instance décisionnelle du CIO.

Son influence demeure néanmoins considérable. À Buenos Aires, après avoir qualifié la loi russe de «dégoûtante», il a néanmoins soutenu qu'un athlète porteur d'une banale épinglette arc-en-ciel durant les Jeux de Sotchi devrait être «renvoyé à la maison», associant pareil comportement à de la «provocation».

Cette intransigeance m'a étonné. En réponse à mes interrogations, Richard Pound m'a expédié un courriel dans lequel il explique sa position.

«Si vous participez aux Jeux, vous le faites dans le respect des règlements auxquels vous adhérez comme condition de participation, écrit-il. Vous n'êtes pas là en tant qu'activiste politique. Vous êtes un invité du pays hôte et sujet à ses lois. Si ses lois et ses positions sur les droits de l'homme vous offensent au point où vous ne souhaitez pas y aller, vous pouvez manifester vos sentiments en n'y allant pas.»

Richard Pound rappelle que le règlement olympique concernant les manifestations politiques est en vigueur depuis très longtemps. Il ajoute que le CIO a fait connaître ses vues sur la loi russe et obtenu des garanties selon lesquelles les athlètes homosexuels ne seront pas gênés durant les Jeux.

Pour la crédibilité du CIO, j'espère que le point de vue de Richard Pound ne l'emportera pas. Vous imaginez le tollé dans les pays démocratiques si un athlète était expulsé des Jeux pour avoir porté un signe arc-en-ciel? Il n'est même pas certain que le gouvernement russe apprécierait l'onde de choc que causerait pareille décision.

D'autres membres du CIO sont plus nuancés. L'Américaine Anita DeFrantz, membre de la Commission exécutive, ne croit pas qu'un athlète portant une épinglette arc-en-ciel à Sotchi devrait être disqualifié. «Ce serait aller trop loin», a-t-elle dit au New York Times, précisant que le CIO devra être prudent en décidant ce qui sera ou non permis.

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Faudrait-il boycotter les Jeux de Sotchi en raison de cette loi brimant les droits des homosexuels? Non. Les premières victimes seraient les athlètes, qui n'ont aucune réelle influence sur la manière dont le CIO mène ses affaires.

Mais ça ne signifie pas qu'on doive rester les bras croisés. Un éditorial du quotidien Le Monde suggérait récemment aux dirigeants des pays démocratiques «de conditionner leur présence à la cérémonie d'ouverture à des progrès concrets en matière de droits de l'homme en Russie».

Brian Burke, un homme d'influence dans la LNH, a émis une autre proposition. Les autorités sportives ne devraient pas attribuer des événements internationaux à la Russie aussi longtemps que cette «loi scandaleuse» demeure en vigueur.

L'idée est excellente, mais arrive trop tard. La Russie a obtenu l'organisation de la Coupe du monde de football en 2018, et une première course de Formule 1 devrait avoir lieu à Sotchi en 2014.

Burke milite activement en faveur des droits des gais. Il sera aux Jeux à titre de responsable de l'équipe américaine de hockey. Dans un texte récemment publié dans Sports Illustrated, il suggère aux olympiens d'apporter une épinglette arc-en-ciel en Russie.

Le CIO lui dira-t-il de la retirer de son veston? On saura bientôt si Thomas Bach amorcera son règne en bâillonnant les athlètes et les officiels qui, malgré le règlement 50, voudraient marquer leur soutien aux droits de la personne.