Imaginez que votre emploi est transféré dans une autre ville. Vos nouveaux collègues sont sympathiques, vos patrons, amicaux et vos conditions de travail, généreuses.

Mais il y a un hic. Malgré vos efforts d'adaptation, vous n'arrivez pas à vous épanouir pleinement dans votre nouvel environnement. Vous n'êtes pas foncièrement malheureux, non. Mais vous ne pouvez éliminer cette fichue réserve envers votre ville d'adoption.

Dans ces conditions, serez-vous un employé hautement performant? Pourrez-vous compartimenter votre cerveau de manière à limiter les effets de ce vague à l'âme sur votre rendement? En clair, en n'étant pas complètement heureux, pouvez-vous exploiter au maximum vos capacités professionnelles?

Les réponses à ces questions auront un impact sur les chances du Canadien cette saison. Même s'il a atténué le sens de ses propos du printemps dernier, Carey Price éprouve de l'inconfort à Montréal.

En se comparant à un «hobbit dans son trou», en disant être incapable de faire son épicerie en paix, le gardien du Canadien a levé le voile sur son état d'esprit.

Or, qu'on soit ou non un partisan de Price, on peut s'entendre là-dessus: le Canadien n'est pas assez puissant pour s'imposer sans un gardien capable de voler quelques victoires en cours de route.

Si Price brille, le Canadien participera aux séries éliminatoires; si son jeu est plutôt semblable à celui de la deuxième moitié du dernier calendrier, la saison sera longue.

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L'embauche de Stéphane Waite a été la plus importante du Canadien cet été. Le caractère crucial de sa mission - relancer Price - le place sur la sellette.

Avec les Blackhawks de Chicago, Waite a actionné les bons ressorts pour améliorer les gardiens sous sa responsabilité.

En 2010, les Blackhawks ont remporté la Coupe Stanley avec Antti Niemi devant le filet. Le Finlandais est un gardien solide, assurément, mais personne ne le confondra avec Patrick Roy.

En juin dernier, les Blackhawks ont renouvelé l'exploit, cette fois avec Corey Crawford, qui avait pourtant connu des séries misérables un an plus tôt. Ses succès ont convaincu Marc Bergevin que Waite était l'homme de la situation à Montréal.

En août dernier, une question m'est venue en tête en lisant un bouquin sur le football américain (1) évoquant les exploits de Bill Walsh: l'impact de Stéphane Waite sur Carey Price pourrait-il être aussi déterminant que celui du célèbre entraîneur de la NFL auprès de plusieurs quarts-arrières?

Génie de l'attaque, Walsh est passé à la légende en menant les 49ers de San Francisco à la conquête de trois Super Bowls. Mais à ses débuts en coaching, il a aussi réussi de petits miracles avec des quarts-arrière moins talentueux comme Virgil Carter et Steve DeBerg. C'est aussi sous sa gouverne que Ken Anderson et Dan Fouts sont sortis de leur coquille.

À n'en pas douter, un enseignant doué peut faire la différence s'il développe une complicité avec un joueur.

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Il est illusoire de croire que la relation de Price avec Montréal changera. Choisir son yogourt en paix à l'épicerie demeurera difficile pour lui. Ce serait d'ailleurs le cas s'il s'alignait avec tout autre équipe canadienne de la LNH.

Évidemment, les joueurs ne peuvent tous évoluer avec les Panthers de la Floride, les Ducks d'Anaheim ou les Coyotes de Phoenix. Dans ces endroits, ils touchent autant d'argent que leurs collègues des autres équipes, mais passent inaperçus.

Certains gars apprécient cet environnement, d'autres non. On imagine mal, par exemple, P.K. Subban parfaitement heureux dans un marché où il ne ferait pas tourner les têtes.

Je ne doute pas de la capacité de Price à composer avec la pression. Ses succès avec Équipe Canada junior, puis au sein des Bulldogs de Hamilton à ses débuts professionnels, l'ont démontré. Et même s'il n'a pas comblé les attentes à Montréal, il a réussi quelques belles performances.

Mais Price est un homme réservé, qui aspire à une vie tranquille, où les yeux ne seront pas constamment braqués sur lui. Il est fait comme ça. En dehors de la patinoire, il a besoin d'espace. C'est légitime. Mais c'est aussi, malheureusement, incompatible avec le statut de vedette du Canadien.

Price ne trouvera jamais l'anonymat à Montréal, pas plus que Tony Romo à Dallas, Derek Jeter à New York ou LeBron James à Miami. Sans parler de Cristiano Ronaldo à Madrid ou de Neymar à Barcelone. Être un champion a un prix.

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Après la dernière saison, Bergevin a rencontré Price. Son chapeau d'ancien joueur sur la tête, il lui a rappelé que les carrières sont pleines de hauts et de bas. «Carey a des choses à prouver et il le sait», dit-il.

Le Canadien sera patient avec Price. Plusieurs gardiens ayant obtenu du succès lors des dernières séries éliminatoires étaient plus vieux que lui.

Bergevin demeure convaincu de son potentiel, et je suis d'accord avec lui là-dessus. À l'évidence, Price possède les atouts pour devenir un gardien dominant dans la LNH. Mais est-ce le véritable enjeu?

La question clé est plutôt de savoir s'il peut s'épanouir suffisamment à Montréal pour atteindre cet objectif.

Stéphane Waite fait face à un immense défi. Il doit créer un environnement professionnel dans lequel Price se sentira si bien qu'il en oubliera les désagréments liés à son statut de vedette.

Même pour Bill Walsh, le mandat aurait été lourd.

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(1) The Blind Side, par Michael Lewis, Éditions Norton.