Au début des années 2000, un jeune joueur de soccer de Brossard est embauché par une équipe professionnelle européenne. Au cours des neuf saisons suivantes, il obtiendra du succès sur le Vieux Continent, un exploit considérable.

«Aux joueurs de hockey, le passeport canadien ouvre beaucoup de portes en Europe, lance Patrice Bernier. Au soccer, c'est l'opposé! Il pèse très lourd. Je suis débarqué là-bas totalement incognito. C'est valorisant d'avoir réussi à faire ma marque.»

Bernier, le meilleur joueur de l'Impact cette saison, prend quelques minutes de répit après l'entraînement de l'équipe au cégep Marie-Victorin.

À 33 ans - «À cet âge, on nous prend parfois pour des dinosaures!» -, il possède assez de métier pour ne pas s'emballer trop vite devant le remarquable début de saison de l'équipe. Ce qui ne l'empêche pas de rêver.

«Avec la qualité de notre groupe, on peut faire quelque chose de bien cette saison, peut-être même de grand, dit-il. Quand on est jeune, on ne le réalise pas toujours, car notre carrière sera encore longue. Lorsqu'on est plus vieux, et qu'on sent cette possibilité, ça augmente les attentes.»

Le jeu solide de Bernier, en défense et en attaque, est remarqué aux quatre coins du circuit. Et dire qu'en mai dernier, au moment où sa saison initiale en MLS prenait une mauvaise tournure, Bernier s'est demandé si sa place était vraiment à Montréal. Et s'il ne devrait pas retourner en Europe au plus tôt.

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L'aventure européenne de Patrice Bernier a commencé en 2003. Plus bel espoir du soccer québécois, il a obtenu un essai avec une équipe norvégienne, le Moss FK. Après quatre jours d'entraînement, on lui a offert un contrat.

Un an plus tard, Tromso, une équipe de première division, a acquis ses services. C'est dans cette ville de 70 000 habitants, située dans le cercle arctique, qu'il s'est établi au cours des trois saisons suivantes.

«Ce fut une belle expérience de vie, aux plans sportif et culturel, dit-il. L'été, il n'y a pas de noirceur. Il faut s'habituer, sinon on perd ses repères pour l'heure du coucher.

«L'hiver, il fait noir toute la journée. Il tombe beaucoup de neige, mais le Gulf Stream rend le froid très supportable. La nature est magnifique, je n'ai jamais rien vu d'aussi beau. Ce furent trois années extraordinaires.»

Après quatre saisons en Norvège, Bernier a déménagé en Allemagne, où il a porté les couleurs de l'équipe de Kaiserslautern, à une heure de Strasbourg. À la mi-saison, l'arrivée d'un nouvel entraîneur n'a pas joué en sa faveur.

«J'ai apprécié mon année là-bas, dit-il. Au soccer, l'Allemagne, c'est un autre monde. C'est comme le hockey ici, peut-être même pire ! Les gradins sont pleins, et les journaux suivent les équipes de très près. Notre stade accueillait 50 000 spectateurs et c'était rempli pour les grands matchs.»

En 2008, Bernier a été embauché par une équipe danoise, le FC Nordsjaelland. Il s'est installé à Copenhague, une ville qu'il adore.

«Sur le terrain, c'est là-bas que j'ai eu le plus de plaisir. Le coach était fanatique du FC Barcelone et s'inspirait de son jeu court, rapide et axé sur la possession du ballon.»

La malchance a ensuite frappé le joueur québécois, qui a subi deux fractures d'une jambe en 2011. Peu après son retour à la santé, Jesse Marsch, premier entraîneur de l'Impact en MLS, l'a rencontré à Copenhague. Les pourparlers ont été longs, mais Bernier a accepté l'offre de l'organisation. Du coup, il est devenu la tête d'affiche de l'équipe.

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Hélas, Marsch a hésité à faire confiance à Bernier. Il l'a utilisé durant les quatre premières rencontres, avant de lui accorder un «repos» lors d'une semaine où l'équipe jouait deux matchs.

L'ennui, c'est que ce congé s'est prolongé. Bernier n'a pas apprécié, même s'il n'a jamais manifesté publiquement ses doléances.

«Les joueurs de haut profil de l'équipe voyaient mon jeu et ne comprenaient pas davantage, explique-t-il. J'ai conclu que ce mariage avec l'Impact et l'entraîneur n'était pas fait pour durer. Jouer au soccer, c'est ma vie. Je n'étais pas venu à Montréal pour rester sur le banc.»

Bernier a demandé à son agent de contacter la direction de l'Impact afin de s'informer des plans à son endroit. Pas question pour lui de simplement servir l'image de l'équipe en parlant français aux médias. Dans son esprit, un départ de Montréal était déjà dans les cartes. «C'est ça, le monde du sport...», dit-il.

Avant que son agent ne fasse signe à Nick De Santis, Bernier a fait partie de la formation partante dans une rencontre au Colorado. Il a marqué un but et réussi une aide. «J'ai joué ce match à ma manière...»

Dès ce moment, Bernier a retrouvé son poste régulier. Mais l'affaire a laissé des traces. Et explique en partie le départ de Jesse Marsch à l'issue de la dernière saison. Joey Saputo et Nick De Santis n'ont jamais compris sa mise à l'écart.

Moins d'un an plus tard, Patrice Bernier s'impose comme le coeur de l'Impact et un des joueurs les plus fiables du circuit. Après une période de doute, il sait maintenant que son retour à Montréal est réussi.