En avril 1994, dans la dernière ligne droite du calendrier régulier, le Lightning de Tampa Bay a surpris le Canadien au Forum. Le jeu clé du match est survenu lorsque Vincent Damphousse a obtenu une occasion en or de créer l'égalité.

Hélas pour le CH, un costaud défenseur du Lightning a bloqué la rondelle et préservé l'avance de son équipe. Ce plongeon lui a valu la première étoile du match. En sautant sur la glace pour son tour d'honneur, il a brandi le poing au ciel en signe de joie. «J'étais trop heureux!», expliqua-t-il simplement, après la rencontre.

Ce défenseur du Lightning, c'était Marc Bergevin. Même s'il a disputé plus de 1200 matchs en 20 ans dans la LNH, le DG du Canadien n'a pas souvent été choisi parmi les héros d'une rencontre.

«Moi, on disait que j'étais bon dans la chambre!» lance-t-il, en éclatant de rire. Au-delà de la blague, il est clair que son leadership auprès de ses coéquipiers, qui explique en partie sa longévité dans la LNH, transparaît aujourd'hui dans la manière dont il dirige le Canadien.

«Il faut rendre hommage aux joueurs et aux entraîneurs», dit Bergevin, modeste comme à son habitude, lorsque j'évoque la performance remarquable de l'équipe dans les 20 premiers matchs de la saison.

Bergevin a raison de souligner le travail de son groupe. Mais une grande partie du mérite lui revient. Il montre de remarquables qualités de gestionnaire. Son spectre d'intervention, très large, lui permet d'agir de différentes façons: fermeté, diplomatie et adresse financière.

Trois dossiers illustrent le style Bergevin: ceux de Scott Gomez, P.K. Subban et Erik Cole.

Dans le cas Gomez, Bergevin a montré de la fermeté. L'expédier à la maison avant le camp d'entraînement, une décision dure au plan humain, demandait du cran.

Mais en agissant ainsi, le DG a marqué une rupture avec le passé et indiqué aux joueurs qu'une nouvelle ère se préparait.

Subban, de son côté, était à la recherche d'un contrat à long terme. Pour le convaincre d'accepter une entente plus courte, Bergevin a usé de diplomatie.

Il s'est rendu à Toronto et a discuté en sa compagnie. Il lui a parlé, mais l'a aussi écouté. Son approche fondée sur le respect et le dialogue a porté ses fruits. Et Subban s'est rangé aux arguments de son patron.

Enfin, en échangeant Erik Cole aux Stars de Dallas, Bergevin a montré son adresse financière. À la fin du lock-out en janvier dernier, le Canadien était l'équipe ayant les engagements financiers les plus élevés en vue de la saison 2013-2014. Or, c'est à ce moment que le plafond salarial chutera à 64,3 millions!

En se libérant du lourd contrat de Cole, Bergevin a préparé l'avenir. Retrouver une marge financière adéquate en vue de l'été prochain était une «assez haute priorité», reconnaît-il.

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L'ambiance au sein du Canadien n'est plus la même depuis l'arrivée de Bergevin. Une démonstration éloquente en a été fournie après l'échec de 6-0 contre les Maple Leafs de Toronto plus tôt ce mois-ci. Malgré cette rebuffade, Tomas Plekanec s'est rendu sur le plateau de L'Antichambre, à RDS, pour répondre aux questions des participants.

L'ancienne administration était allergique à ce type d'initiative. Encore plus après un match si difficile! Mais Bergevin a compris que la communication fait partie du sport professionnel. Le Canadien, longtemps si conservateur, s'offre enfin un coup de modernisme.

Au plan strictement hockey, on assiste aussi à un changement significatif. L'organisation fait désormais confiance aux jeunes joueurs, comme l'illustre la présence d'Alex Galchenyuk et Brendan Gallagher.

«Chaque cas est différent, explique Bergevin. Je me demande parfois si je n'ai pas moi-même gradué trop vite dans la LNH. À 19 ans, lorsque j'ai participé au camp d'entraînement des Blackhawks de Chicago, je m'étais apporté du linge pour cinq jours! Je pensais vite retourner avec les Saguenéens de Chicoutimi. Mais on m'a gardé dans l'équipe.»

Quelques saisons plus tard, Bergevin a connu un passage à vide qui lui a valu un séjour dans les mineures. «Mais les choses ont changé, reconnaît-il. Si les jeunes sont prêts mentalement, ils peuvent monter plus vite. Ils apportent beaucoup d'énergie.»

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Après 20 matchs, les belles surprises sont nombreuses chez le Canadien. La plus significative est néanmoins l'émergence d'Alex Galchenyuk.

Mieux vaut demeurer sobre en analysant un joueur-recrue. Mais il est clair que le jeune attaquant possède le potentiel pour devenir une superstar du circuit. Je n'ai pas souvenir d'un talent offensif si prometteur avec le Canadien depuis très longtemps.

La semaine dernière, après que Galchenyuk ait contribué de belle façon à trois victoires du Canadien, Michel Therrien lui a adressé un compliment.

«Alex, dernièrement, trouve une manière de faire les gros jeux qui font la différence, a dit l'entraîneur. Pour une recrue, c'est exceptionnel.»

Depuis le milieu des années 70, le Canadien n'a pas obtenu beaucoup de succès en choisissant des attaquants en première ronde du repêchage. Les seuls véritables bons coups sont survenus en 1993 (Saku Koivu) et 2007 (Max Pacioretty).

S'il demeure en santé et conserve sa passion du jeu, Galchenyuk sera bientôt dominant sur la patinoire. Et, contrairement à ce que Bergevin a vécu durant sa carrière de joueur, il sera souvent choisi parmi les étoiles d'un match.

Mais pour l'instant, si on doit identifier la première étoile du Canadien après 20 rencontres, mon vote va à Marc Bergevin. Il la mérite bien, comme lors de ce match d'avril 1994 au vieux Forum.