Marc Bergevin n'a jamais étudié la gestion. Il n'a pas lu des dizaines de livres sur la bonne manière de diriger des gens. Mais cela ne l'empêche pas d'afficher une conviction profonde: le respect des autres est au coeur de la réussite.

«C'est une valeur fondamentale pour moi, affirme le nouveau directeur général du Canadien. Je suis une personne sensible. On peut dire beaucoup de choses à quelqu'un, mais tout est dans la manière dont on livre son message.»

Son principe est simple: être honnête et sincère, et ne jamais faire mal.

Debout près du vestiaire de son équipe en début de soirée mardi, Bergevin prend un moment de répit avant le match contre les Jets de Winnipeg. Quelques minutes plus tôt, il a remis au nom de l'organisation des bourses de 1500 $ à 28 jeunes qui combinent avec succès leurs études et la pratique du hockey.

À ces 20 garçons et 8 filles, il a offert un mot d'encouragement, comprenant fort bien la signification de cette cérémonie pour eux. «Je me souviens lorsque j'étais moi-même midget AAA, dit-il. Il n'y avait pas de bourses dans ce temps-là...»

À cette époque, Bergevin vivait à deux kilomètres de l'endroit où est désormais situé le Centre Bell. C'était en 1981. Rien ne laissait présager qu'une trentaine d'années plus tard, le défi de relancer une des plus prestigieuses équipes du sport professionnel reposerait sur ses épaules.

Le chemin parcouru est impressionnant. On pardonnerait facilement à Bergevin de s'enorgueillir de cette réussite. Mais ce n'est pas son style.

«Les gens me voient peut-être de manière différente, mais moi, je demeure le même gars. Ce qui me définit, ce n'est pas mon titre, mais la personne que je suis. Je sais très bien d'où je viens et je ne changerai pas.»

Nommé à la tête des opérations hockey du Canadien en mai dernier, Bergevin connaît des débuts impressionnants. Son calme, son flair et sa maîtrise des dossiers font déjà l'unanimité.

Mais il y a plus. Le nouveau DG a allégé l'ambiance au sein de l'organisation. Sa personnalité chaleureuse a fait voler en éclats le mur qui s'était construit entre l'organisation et ses fans.

Bergevin ne commettra pas l'erreur de vivre coupé de la société montréalaise. Son ouverture aux autres rappelle celle de Serge Savard, qui est toujours demeuré accessible malgré ses succès professionnels.

«Tantôt, je suis allé prendre un café dans un petit restaurant pas loin d'ici, raconte Bergevin. Un partisan m'a reconnu et m'a lancé un compliment. Je l'ai remercié en souriant. Mais je sais très bien qu'un autre pourrait me traiter de bum si l'équipe va moins bien!

«Comme tout le monde, je ferai des erreurs, poursuit-il. Mais je me suis bien entouré. Lorsque tu étudies les choses à fond et que tu discutes avec tes collègues, tu minimises les chances d'en commettre.»

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Le respect. Le mot revient souvent dans la bouche de Bergevin.

Cette sensibilité l'a aidé à régler avec succès le dossier P.K. Subban, une affaire qui aurait pu déraper.

Lundi soir dernier, le jeune défenseur a remercié Bergevin à plus d'une reprise durant la conférence téléphonique annonçant le renouvellement de son contrat. Une seule fois aurait été suffisante pour respecter les règles de politesse, surtout que Subban n'est pas sorti gagnant de cette négociation. Mais c'est avec beaucoup de chaleur dans la voix qu'il a souligné l'attitude de son patron durant les pourparlers.

«Comme tout le monde, j'ai entendu les amateurs réclamer la présence de P.K. durant le match intra-équipe avant l'ouverture du calendrier, reconnaît Bergevin. Mais si je m'étais laissé influencer par ça, je ne serais pas le bon gars pour la job! Il ne faut pas prendre de décision émotive.»

Quelques jours plus tard, Bergevin et Subban se sont rencontrés à Toronto. Ils ont discuté durant 90 minutes. Don Meehan, l'agent de P.K., était aussi présent. Cet entretien a été déterminant.

«J'avais une idée de ce qui était le mieux pour P.K. et pour le Canadien, explique Bergevin. Le téléphone, c'est bien. Mais c'est préférable de discuter dans la même pièce, en se regardant dans les yeux. Le hockey, c'est d'abord une business de personnes. Je savais qu'on travaillerait de nouveau ensemble. C'était important de maintenir une bonne relation.»

Subban n'a pas obtenu le contrat souhaité. Mais il s'est manifestement senti respecté dans le processus et réintègre l'équipe dans de bonnes dispositions. Voilà un effet concret du style de Bergevin.

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Après son entrée en poste au printemps dernier, Bergevin a multiplié les embauches, réorganisant le secteur hockey de l'organisation. Mais le long lock-out a brutalement freiné ses activités.

En janvier, lorsqu'un accord est intervenu entre les propriétaires et les joueurs, la machine est repartie à vive allure. Il a dû apprivoiser très vite cette nouvelle convention collective.

«La première semaine, je n'ai presque pas dormi, dit-il. Je me réveillais à 2h du matin et j'écrivais des notes dans un carnet. Là, j'ai retrouvé un rythme normal!»

Ses deux années d'expérience à titre d'adjoint au directeur général des Blackhawks de Chicago ont aidé Bergevin à assumer son nouveau rôle. «Être assis dans la grande chaise, c'est quand même différent! Soudainement, tu n'es plus le gars qui conseille, mais celui qui prend la décision.

«Je ne suis pas arrogant, mais j'ai confiance, poursuit-il. Le hockey, c'est ma vie. Et je connais ça. Si tu me demandais d'aller diriger une banque, je ne saurais pas trop comment faire! Mais ici, je suis à l'aise.

«Tu sais, je n'ai jamais eu l'impression de travailler une seule journée de ma vie. Je fais ce que j'aime. C'est ma passion.»

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Le match entre le Canadien et les Jets commencera bientôt. Marc Bergevin doit regagner son siège dans les hauteurs du Centre Bell. S'il croise des partisans en chemin, il les saluera avec plaisir.

«Souvent, les gens me disent "Bonjour, Monsieur Bergevin". Ça me fait un peu drôle. J'aime qu'on m'appelle Marc, tout simplement...»

Chez le Canadien, les choses ont changé en mieux cette saison. Et c'est beaucoup grâce à cet homme solide et attachant, qui doit maintenant redonner à l'équipe sa tradition gagnante.