Juillet dernier, dans la salle de réception du Comité olympique canadien, à Londres. Assis dans un fauteuil confortable, Richard Garneau salue les gens se pressant autour de lui: anciens athlètes, officiels et journalistes.

Quelques minutes plus tôt, sa passion pour l'olympisme a été soulignée au micro. Cinquante-deux ans après avoir couvert les Jeux de Rome, Richard s'apprête à commenter la cérémonie d'ouverture de ceux de Londres, présentée le lendemain.

«J'ai assisté à la répétition cette semaine, me lance-t-il, les yeux brillants. Ça s'annonce magnifique.»

À 82 ans, Richard Garneau se sent toujours privilégié de décrire les Jeux olympiques au public québécois. Le passage des années n'a pas diminué son enthousiasme. Il est heureux de se retrouver dans cette capitale britannique qu'il aime tant et qui n'a jamais semblé si belle qu'aujourd'hui.

«Ce sont mes 23e Jeux olympiques, ajoute-t-il. Je suis privilégié qu'on me fasse encore confiance.»

Lorsque je lui demande d'expliquer son extraordinaire longévité dans ce métier souvent impitoyable, il répond sans hésiter: «Le travail. Je fais encore fonctionner mes neurones».

Comme à son habitude, Richard a soigné sa préparation. Ses «fiches», comme il appelle ses informations sur les athlètes, sont à jour. Au cours de la prochaine quinzaine, son horaire de travail sera moins lourd qu'à une certaine époque. Mais sa passion du métier demeure intacte.

En lui serrant la main à la fin de notre entretien, je suis encore frappé par ce que j'ai toujours admiré chez lui: son professionnalisme, son élégance et sa joie de vivre.

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Richard Garneau est mort hier. Jusqu'au bout, il aura commenté l'actualité sportive avec sa pertinence proverbiale.

Même s'il s'est officiellement retiré de Radio-Canada en 1989, c'est derrière un micro de la Société d'État qu'il s'est adressé pour la dernière fois aux auditeurs en décembre dernier. Depuis plusieurs années, il livrait les nouvelles du sport à la radio le samedi matin.

Ce mandat lui a permis, en quelque sorte, de boucler la boucle. Car au-delà de ses passages réussis vers d'autres antennes, Richard demeurera toujours associé à la plus glorieuse époque des émissions sportives de Radio-Canada.

Je l'ai rencontré une première fois à mon arrivée à Montréal en 1984, jeune journaliste du Soleil dépêché dans la métropole pour couvrir le Canadien et les Expos. «Moi aussi, je viens de Québec!», m'a-t-il lancé, un sourire amical au visage.

Richard avait le don de mettre à l'aise les gens autour de lui, même les p'tits nouveaux dans la profession. Nous ne deviendrions jamais des proches, mais c'est toujours avec plaisir que je le retrouvais au Forum, aux Jeux olympiques ou même, à une occasion, au Tour de France.

Sa passion pour le sport remontait à son enfance. Un jour, j'ai cru le surprendre en lui relatant le résultat d'une de mes recherches sur l'histoire du hockey à Québec.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, lui a-je annoncé fièrement, les Bruins de Boston ont tenu leur camp d'entraînement à Québec. Ils demeuraient au Château Frontenac...

«Eh oui, je m'en souviens encore, m'a-t-il répondu, sourire au visage. J'avais obtenu l'autographe de presque tous leurs joueurs...»

À cette époque, Richard était âgé d'une douzaine d'années. Dans ses mémoires publiées en 1992, il dresse un portrait saisissant de la vie quotidienne durant sa jeunesse.

Son père avait accroché une carte de l'Europe au mur du salon et suivait l'évolution des combats. L'annonce de la libération de Paris, le 25 août 1944, émut toute la famille.

Son autobiographie, intitulée À toi, Richard..., illustre que la parole n'était pas son seul talent. Il maîtrisait aussi l'écriture. Son sens du récit, d'où émerge souvent son humour irrésistible, est remarquable. Ces 500 pages, plongeon dans notre histoire culturelle et sportive, se dévorent en un tournemain.

Les souvenirs de ses débuts à la radio et à la télévision de Québec composent un morceau d'anthologie. À CHRC, écrit-il, «ma prestation au Réveil agricole me valut d'être promu à l'animation des Avis de décès.»

En juin 1954, Richard devint le premier annonceur de CFCM-TV, canal 4. L'ouverture de cette station de télévision fut marquée par des bourdes dignes d'un vaudeville, qu'il raconte avec amusement.

Peu avant la sortie de ses mémoires, Richard m'avait expliqué le sens de l'après-titre, «Altius, Angélus, Airbus».

«Altius fait partie de la devise olympique; Angélus rappelle que j'ai grandi dans un Québec très clérical; et Airbus est un clin d'oeil à mes nombreux voyages.»

Ces trois mots résument sa vie. Pour un garçon comme lui, assoiffé de découvertes et de liberté, le système scolaire de l'époque, dominé par les religieux, était étouffant. Malgré les embûches, il obtint son diplôme avant d'amorcer sa remarquable carrière dans les médias.

Pour la plus grande joie des auditeurs, Richard a parcouru le monde des dizaines de fois, une expérience stimulante aux plans professionnel et humain, mais éprouvante au niveau familial.

Dans un des passages les plus émotifs de son livre, il explique combien sa passion du métier a été dure pour ses proches, notamment ses enfants qui ont composé avec ses nombreuses absences.

«... je n'ai jamais pu me débarrasser de cette maudite culpabilité qui me hante encore aujourd'hui et jette une ombre feutrée sur ma carrière. [...] Je promis donc que nous allions passer toutes les vacances d'été en famille, une habitude à laquelle je tins mordicus, au fil des ans.»

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Pendant plus de 60 ans, Richard a informé les Québécois avec une rigueur unique. Et cela, dans une langue exemplaire. Sa contribution à l'élargissement de nos horizons sportifs est immense.

Avec sa mort, le Québec perd un commentateur doué, éclairé et passionné.

Mais surtout, le Québec perd un homme d'exception.