À l'autre bout du fil, Sylvie Fréchette lance: «Tu sais ce que je trouve le plus épouvantable? C'est que 25 ans plus tard, on en soit encore là. C'est triste d'y penser.»

Eh oui, un quart de siècle après les rebuffades qu'avait subies Sylvie Fréchette aux mains de l'establishment canadien de nage synchronisée, au moment où on croyait que notre bureaucratie sportive avait évolué, voilà de nouveau un athlète québécois plongé dans une situation kafkaïenne.

Mathieu Giroux est âgé de 26 ans. En 2010, aux Jeux de Vancouver, il a remporté une médaille d'or en poursuite en compagnie de ses deux coéquipiers. Il souhaite de nouveau monter sur le podium à Sotchi, en 2014, et ses récents résultats lui permettent de l'espérer.

En plus d'être un sportif d'exception, Giroux est un étudiant motivé. La réussite scolaire est au coeur de ses valeurs. Il prépare son après-carrière avec la même énergie qu'il consacre à son entraînement.

Inscrit en pharmacie à l'Université de Montréal, Giroux complète la troisième des quatre années nécessaires à l'obtention de son diplôme. Difficile de trouver plus beau modèle d'athlète.

Avec cette feuille de route, on aurait pensé que sa fédération, Patinage de vitesse Canada, le proposerait en exemple aux jeunes patineurs. Que les membres du conseil d'administration évoqueraient son nom en s'adressant à la relève: regardez ce que le travail rigoureux, la concentration et la discipline peuvent vous apporter, une médaille olympique et un diplôme...

Détrompez-vous! Parce qu'il refuse d'abandonner l'Université de Montréal pour s'entraîner à Calgary avec les autres membres de l'équipe nationale, parce qu'il veut poursuivre ses études en pharmacie, les dirigeants de sa fédération le punissent.

En plus de l'écarter de l'équipe nationale et de le priver des avantages afférents, ils ont amorcé des démarches pour lui retirer son brevet d'athlète, qui lui vaut une somme mensuelle de 1500 $ payée par nos impôts.

Voilà comment Patinage de vitesse Canada traite ses médaillés d'or olympiques.

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L'histoire courait depuis quelques jours. Mais c'est le Globe and Mail de Toronto, sous la plume du journaliste Sean Gordon, qui a donné du retentissement à cette pathétique affaire, hier.

Comme Sylvie Fréchette en 1987 et en 1991, les autorités sportives veulent obliger un athlète à quitter son université pour s'établir ailleurs. Et comme Sylvie Fréchette, Mathieu Giroux a choisi de se tenir debout. Il a dit non.

Après les Jeux de Vancouver, les dirigeants de Patinage de vitesse Canada ont toléré que Giroux étudie et s'entraîne à Montréal. Ils l'ont cependant privé d'outils qui étaient offerts à ses camarades, comme un système permettant de mesurer la puissance développée sur un vélo stationnaire. Fallait bien lui rappeler que la différence avait un prix...

«En avril dernier, ils m'ont dit qu'ils avaient été bons pour moi au cours des deux dernières années, m'explique Mathieu Giroux, mais que je devais maintenant m'établir à Calgary en prévision des Jeux de Sotchi.»

Le plus absurde, c'est que Giroux a déjà annoncé qu'il irait à Calgary l'été prochain, après son année scolaire. Il prendra un congé sabbatique de l'université afin d'affûter sa préparation olympique.

Étant donné qu'il a séjourné à Calgary l'été dernier, c'est seulement à compter de maintenant que Patinage de vitesse Canada lui impose sa loi.

Plus facile, semble-t-il, de lui couper les vivres que de trouver un arrangement honorable pour faire le pont vers l'été prochain. On parle pourtant de quelques mois à peine.

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Mark Mathies est directeur sportif de Patinage de vitesse Canada. Au téléphone, hier, il a défendu avec vigueur la décision de son organisme.

«C'est important que nos athlètes s'entraînent dans le meilleur environnement, a-t-il déclaré. Nous croyons en la qualité de notre programme. Nos centres nationaux proposent un excellent encadrement.»

En plus de Calgary avec son anneau couvert, l'autre centre national est à Québec. Mais les installations sont modestes. Et sur le plan scolaire, un transfert à l'Université Laval aurait été complexe pour Giroux.

Peu importe, pas question que Patinage de vitesse Canada fasse une exception et lui permette de poursuivre son entraînement à Montréal. «Tous les membres de l'équipe nationale doivent se plier aux mêmes conditions», soutient Mathies.

Bref, le règlement est beaucoup plus important que le soutien aux étudiants athlètes.

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Dans toute cette histoire, Mathieu Giroux demeure respectueux envers les gens de Patinage de vitesse Canada. Il vante le système sportif canadien, mais ajoute: «Des amis me disent que c'est peut-être une occasion manquée de promouvoir quelqu'un qui fait bien le sport et les études...»

De son côté, Sylvie Fréchette souhaite que Marcel Aubut et le Comité olympique canadien (COC) s'en mêlent. «Le COC consacre beaucoup d'énergie et d'argent à préparer les athlètes en vue de leur après-carrière, dit-elle. Mathieu Giroux, lui, s'occupe de la sienne. Et il est pénalisé.»

Le message envoyé aux étudiants athlètes est en effet terrible. Que des gestionnaires sportifs expérimentés puissent ainsi compliquer la vie d'un jeune adulte sous leur responsabilité est aberrant.

Quelqu'un rappellera-t-il Patinage de vitesse Canada à l'ordre? Quelqu'un défendra-t-il cet athlète dont le Canada entier devrait être fier?

Chose sûre, ce «quelqu'un» ne sera pas le COC, pour qui il s'agit d'une simple histoire entre Patinage de vitesse Canada et son athlète. Dimitri Soudas, porte-parole de l'organisme, me l'a confirmé tard hier soir.

Non, 25 ans plus tard, rien n'a changé à ce chapitre.