Le cri du coeur d'Al Michaels a tout résumé: «Ça devient ridicule».

Michaels, célèbre commentateur du réseau NBC, n'est pas un rebelle dans l'âme. Mais dimanche, peu avant la fin du match entre les Patriots de la Nouvelle-Angleterre et les Ravens de Baltimore, il s'est fait le porte-parole de millions de téléspectateurs: le travail des arbitres de remplacement est gênant.

C'est une règle de base dans le monde des affaires. Lorsque l'intégrité de son produit est mise en cause, une entreprise doit réagir sur-le-champ. Il ne faut pas laisser la crise s'étendre. Sinon, sa crédibilité est sérieusement entachée.

Pas besoin d'une maîtrise en administration pour saisir ce principe, valable dans tous les secteurs, même celui du sport professionnel.

Voilà pourquoi l'inflexibilité des dirigeants de la NFL dans sa dispute avec les officiels réguliers est si incompréhensible. Une seule raison peut l'expliquer: l'arrogance.

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La NFL est le circuit professionnel le plus riche de la planète. En 2014, lorsque tous ses nouveaux contrats de télévision seront en vigueur, elle touchera 6 milliards par saison à ce seul chapitre!

Et voilà que pour une infime partie de ce montant, la NFL refuse de conclure un accord avec ses 120 officiels, qu'elle a mis en lock-out en juin dernier. La caisse de retraite constitue l'enjeu principal, la ligue souhaitant diminuer leurs avantages.

Selon les informations de Sports Illustrated, l'écart entre les deux parties est de 3,3 millions par année, soit environ 100 000 $ par équipe. C'est quatre fois moins que le salaire minimum d'un joueur recrue.

La NFL n'a pas l'habitude de perdre ses combats. Peu importe si elle négocie avec les joueurs, les réseaux de télévision, les câblodistributeurs, les commanditaires ou les gouvernements, elle gagne à tous coups.

Un exemple, parmi tant d'autres: au printemps dernier, les élus du Minnesota ont hésité avant d'approuver une subvention de 500 millions pour le nouveau stade des Vikings.

Le commissaire Roger Goodell s'est alors rendu dans cet État pour «sensibiliser» la communauté à l'importance de régler le dossier. Après tout, le riche marché de Los Angeles attend impatiemment une équipe. Et si les Vikings ne sont plus les bienvenus au Minnesota... Sans surprise, un mois plus tard, l'affaire était réglée.

La NFL est habituée aux génuflexions de ses partenaires d'affaires. Voilà pourquoi elle tient tête aux officiels. Pas question que ce petit groupe lui dicte une ligne de conduite.

C'est ça, l'arrogance.

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La NFL n'a pu embaucher les meilleurs arbitres universitaires pour remplacer ses officiels réguliers. Elle s'est donc rabattue sur du personnel plein de bonne volonté, mais inexpérimenté et nerveux.

Si la première semaine d'activités s'est plutôt bien déroulée, les choses se sont gâtées le week-end suivant. Les entraîneurs et les joueurs ont multiplié les critiques à l'endroit des remplaçants.

La NFL, sentant le dérapage, a transmis une note à toutes les équipes jeudi dernier, avant les matchs de la troisième semaine: interdiction de critiquer les arbitres. «Nous voulons que tous les gens sur les lignes de côté fassent preuve de respect», a expliqué un vice-président de la ligue.

Comme si le respect pouvait se commander plutôt que se mériter.

La note ne s'est sans doute pas rendue jusqu'à Bill Belichick, l'ombrageux entraîneur des Patriots. Après avoir vu son équipe échapper une avance de neuf points au quatrième quart et subir un revers contre les Ravens, il a couru vers un officiel et a tenté de l'agripper par le bras.

Pour un entraîneur qui exige de ses joueurs une discipline de tous les instants, Belichick en a sérieusement manqué. Mais le rendement pathétique des officiels durant tout le match a eu raison de sa patience.

Au troisième quart, les Patriots ont reçu une pénalité pour avoir retenu. Cris Collinsworth, partenaire d'Al Michaels à NBC, était sidéré. «Sa vision doit être radiographique...», s'est-il gentiment moqué de l'officiel, en notant comment celui-ci était mal placé pour voir l'infraction.

Des erreurs semblables, il y en a eu dans plusieurs matchs dimanche. Au-delà de chaque cas particulier, c'est l'impression générale de confusion qui fait mal à la NFL.

Hier, partout aux États-Unis, les analystes ont noté à quel point la situation était aberrante. Mais le commissaire Roger Goodell est enfermé dans sa logique dogmatique.

S'il se rend aux arguments des officiels, son circuit perdra en partie la face. Pour une ligue aussi orgueilleuse, cette perspective semble encore plus gênante que le rendement des arbitres de remplacement. C'est triste à dire, mais c'est comme ça.

La NFL devra néanmoins mesurer au plus tôt les conséquences de sa rigidité. La crise ne se résorbe pas, bien au contraire. Elle est désormais LE sujet de conversation dans le circuit. Le feu ne s'éteindra pas de sitôt. Seul le retour au travail des arbitres réguliers mettra fin à ce cirque.

Pour cela, la NFL ne devra pas vider son compte de banque, mais plutôt remiser son arrogance dans un placard.

En sera-t-elle capable?

Ou continuera-t-elle plutôt à entacher sa crédibilité?

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Photo: Reuters

Le rendement pathétique des arbitres durant tout le match a eu raison de la patience de l'entraîneur des Patriots, Bill Belichick, dimanche soir.