Au Québec comme aux quatre coins de l'Occident, les derniers mois ont été marqués par l'extraordinaire place prise par les jeunes dans le débat public.

Du mouvement Occupy Wall Street à la crise étudiante, la nouvelle génération a fait entendre sa voix comme jamais auparavant. En misant sur sa maîtrise des réseaux sociaux pour s'organiser et partager l'information, elle a transformé ses idéaux en revendications.

Dans ses bureaux de Manhattan, Gary Bettman n'a sans doute pas accordé beaucoup d'attention au phénomène.

Les dirigeants du sport professionnel oublient souvent que leur industrie fait partie du tissu social de la cité. À force de se déplacer en classe affaires, ils perdent de vue la majorité des voyageurs entassés en classe économique.

Si Bettman avait été plus alerte, il aurait pris acte de la vigueur avec laquelle les jeunes expriment désormais leurs convictions. Et il se serait rappelé que malgré leurs salaires stratosphériques, les jeunes joueurs de la LNH sont d'abord... des jeunes! Même dans leur bulle dorée.

Non, je ne crois pas que le militantisme social s'inscrive dans l'ADN des hockeyeurs professionnels. Il n'y a sûrement pas beaucoup de carrés rouges dans le groupe.

Mais comme tous les membres de leur génération, ils entretiennent de la méfiance face à l'autorité. Ils remettent en cause les affirmations de leurs dirigeants. Ils se battent lorsqu'ils estiment qu'on manque de fair-play à leur endroit. Ils communiquent sur les réseaux sociaux. Ils partagent de l'information.

Bref, l'époque où les joueurs laissaient une poignée de représentants négocier à leur place la prochaine convention collective, en attendant sagement les résultats, est terminée.

À New York la semaine dernière, près de 300 joueurs se sont réunis. Ils ont passé une dizaine d'heures à discuter des enjeux.

On n'aurait pas vu ça dans le passé. Les joueurs veulent être des acteurs de ces négociations, pas seulement des spectateurs intéressés. Et ils comprennent la nécessité de la solidarité.

Contrairement au dernier conflit, on ne verra pas quelques têtes d'affiche tenter de court-circuiter le processus en lançant des initiatives personnelles dans l'espoir de dénouer l'impasse.

***

Ce nouveau militantisme, Bettman ne l'a jamais vu venir. Pas plus que la colère des joueurs. Au cours des derniers jours, dans la foulée de Zach Parise, plusieurs d'entre eux l'ont attaqué nommément.

Personnaliser les débats n'est jamais une bonne idée. Mais leur attitude peut néanmoins s'expliquer. Ils ont vraiment l'impression d'être victimes d'une trahison.

Pourquoi? Parce qu'en 2005, lorsqu'ils ont accepté un plafond salarial, Bettman et les autres dirigeants de la LNH ont laissé croire que ce nouveau système représentait une solution permanente aux problèmes de l'industrie.

Sept ans plus tard, la LNH exige néanmoins de nouvelles concessions sur tous les fronts: salaires, durée des contrats, nombre de saisons requises pour acquérir l'autonomie complète, arbitrage salarial, versement des primes d'engagement...

On ne parle pas ici «d'ajustements» au système, comme Geoff Molson l'a curieusement indiqué cette semaine. Mais plutôt d'une série de reculs pour les joueurs.

Au début de l'été, Bettman a accordé une entrevue de fond au Sports Business Journal (SBJ), un hebdomadaire spécialisé dans l'économie sportive. Commentant le conflit de 2004-2005, il a déclaré: «Les partisans comprenaient nos problèmes et voulaient qu'on les règle».

Le commissaire a entièrement raison. Un mécanisme de contrôle des coûts était essentiel. Voilà pourquoi le plafond salarial a été imposé. Mais aujourd'hui, pourquoi ce lock-out est-il une nécessité?

Bettman n'est pas au mieux lorsqu'il est interrogé à ce sujet. Ses réponses perdent de leur mordant caractéristique. La semaine dernière, il a même évoqué l'augmentation des coûts de massothérapie. C'est anecdotique, évidemment, mais cela reflète sa difficulté à articuler un message cohérent. Les joueurs le sentent bien.

Si sa crédibilité auprès des joueurs est en chute, Bettman profite toujours de celle des proprios. Dans le même article de SBJ, Jeremy Jacobs, président des Bruins de Boston et du Bureau des gouverneurs de la LNH, a été éloquent.

«Gary nous a amenés au XXIe siècle avec beaucoup de vigueur. Il a développé notre business à partir de la base.»

Voilà pourquoi les propriétaires demeurent solidaires du commissaire. Mais cet état de grâce demeurera-t-il si le conflit conduit à l'annulation de la saison?

***

Une des plus grandes surprises de ces négociations est la manière archaïque dont elles sont conduites.

Les deux parties sont plongées dans une confrontation traditionnelle. Elles sont plus intéressées par la recherche d'un rapport de force avantageux que la tenue d'échanges constructifs.

La LNH a souvent répété que ses joueurs étaient des partenaires. Depuis le début des négos, on comprend qu'il n'en est rien. Nous assistons à une lutte classique, celle du «nous» contre «eux».

Pour une industrie du monde du divertissement, qui génère 3,3 milliards de revenus par année, c'est un manque d'imagination flagrant. Si, pour reprendre les propos de Jeremy Jacobs, le modèle d'affaires de la LNH est solidement ancré dans le XXIe siècle, ses relations de travail demeurent enfoncées dans le XXe.

Cela n'atténuera pas la colère des jeunes joueurs, qui ne se reconnaissent sans doute pas dans cette approche d'un autre temps.

Un jour, il faudra peut-être un changement de capitaine à la tête de la LNH. Regardez comment s'est réglé le conflit étudiant au Québec...

Pour joindre notre chroniqueur: pcantin@lapresse.ca