À quelques heures du déclenchement probable d'un lock-out dans la LNH, une question est sur toutes les lèvres: quelle sera la durée du conflit?

Il se trouve sûrement quelques optimistes pour croire à un règlement rapide. Souhaitons qu'ils aient raison, même si l'écart entre les deux parties semble trop significatif pour envisager cette possibilité.

Plusieurs analystes soutiennent plutôt qu'un accord interviendra tard à l'automne et que la saison s'amorcera à Noël. Ce consensus repose sur trois arguments.

D'abord, ce scénario est survenu l'an dernier dans l'Association nationale de basketball (NBA); ensuite, les joueurs s'inquiéteront après avoir raté quelques chèques de paie; enfin, la LNH voudra tenir la Classique hivernale du 1er janvier et le tournoi de la Coupe Stanley.

Tout cela est fort possible. Hélas, la perspective d'un très long conflit, qui entraînerait l'annulation de la saison 2012-2013, est tout aussi réaliste!

S'il est vrai que la stratégie de Gary Bettman est collée sur celle de la NBA l'automne dernier, une différence majeure existe. Au basketball, les deux parties parlaient le même langage. L'enjeu était simple: s'entendre sur le pourcentage de baisse des revenus versés aux joueurs. Trouver un accord a néanmoins nécessité des mois.

Dans la LNH, la position de Donald Fehr est beaucoup plus nuancée. Les joueurs rejettent l'idée de diminution salariale. Ils proposent plutôt de laisser aux propriétaires une part plus importante de la croissance anticipée des revenus de la ligue.

Cette nuance est fondamentale. Et elle explique pourquoi Gary Bettman balaie du revers de la main la proposition syndicale. Il rejette les estimations des joueurs qui prévoient une hausse annuelle de 7,1% des revenus de la LNH.

L'objectif du commissaire est simple: verser moins d'argent aux joueurs, non seulement en pourcentage des revenus, mais aussi en dollars absolus, à tout le moins dans la première année du contrat. Il exige des concessions concrètes et majeures par rapport au système actuel.

Non, ce n'est pas un fossé qui sépare les deux parties, mais un gouffre.

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Un autre facteur appuie la théorie du long conflit. Gary Bettman et Donald Fehr sont des hommes d'une détermination exceptionnelle.

Bettman est le seul commissaire, dans toute l'histoire du sport professionnel, à avoir déjà annulé une saison complète! Il en retire d'ailleurs une certaine fierté. La déception et la colère des partisans le laissent de glace.

On l'a bien vu dans sa conférence de presse de jeudi lorsqu'un collègue lui a demandé s'il avait un message pour les fans. La question l'a manifestement pris de court. Dans sa réponse, il n'a parlé que de sa propre déception si un conflit éclatait. Pas un mot sur celle des amateurs. C'était à la fois renversant et révélateur.

Bettman est attaché au volet affaires du hockey. Ses liens émotifs avec le sport semblent ténus.

Rien à voir avec Bud Selig, qui a longtemps été propriétaire des Brewers de Milwaukee avant d'être nommé commissaire du baseball. Ou Roger Goodell qui, jeune homme, a transmis son curriculum vitae à toutes les équipes de la NFL dans l'espoir de travailler dans son sport de prédilection. C'est comme stagiaire qu'il a amorcé son ascension vers le poste de commissaire.

Bref, Bettman ne perdra pas une seule minute de sommeil s'il doit annuler la saison 2012-13.

Donald Fehr, son vis-à-vis, est bâti dans le même moule. À la tête de l'Association des joueurs du baseball majeur en 1994, il a convaincu les joueurs de déclencher une grève qui a conduit à l'annulation de la Série mondiale.

Oui, la Série mondiale, un événement aussi imbriqué dans l'inconscient américain que la tarte aux pommes! Avouez qu'il lui a fallu du culot.

À l'époque, Fehr s'est fait traiter de tous les noms. Les insultes ne l'ont jamais touché. Il était même prêt à poursuivre la grève la saison suivante.

Bref, Bettman et Fehr seront imperméables aux appels des amateurs de hockey.

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En plus de la durée du conflit, une autre interrogation suscite le débat: les joueurs demeureront-ils solidaires? Accepteront-ils longtemps de ne pas percevoir leurs salaires?

La question est intrigante, même s'ils semblent aujourd'hui très unis. Mais il en existe une autre, tout aussi essentielle: les propriétaires appuieront-ils longtemps Gary Bettman si le conflit se prolonge?

Dans un texte révélateur publié cette semaine dans The Globe and Mail, Ken Dryden explique comment le commissaire a obtenu, au début des années 2000, une modification à la réglementation interne de la LNH afin de renforcer son autorité en matière de relations de travail.

Sept ans après le dernier conflit, Bettman est aujourd'hui tout-puissant dans la LNH. Les nombreux changements de propriétaires survenus au cours des dernières années ont joué à son avantage. Des équipes avec un riche passé, comme le Canadien et les Maple Leafs, appartiennent aussi à de nouveaux groupes dont l'influence n'est pas encore établie.

Cela dit, certains propriétaires pourraient s'impatienter devant l'intransigeance de Bettman, qui négocie à l'ancienne depuis l'ouverture des pourparlers. Ils finiront peut-être par poser des questions plutôt que d'approuver bêtement sa stratégie.

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Le conflit n'est pas encore commencé. Accrochons-nous à un improbable espoir. Car lorsque le lock-out sera déclenché à minuit, les positions se durciront davantage.

Un retour au jeu à Noël? Peut-être. Mais rien n'est moins sûr.

Pour joindre notre chroniqueur: pcantin@lapresse.ca