C'était en 1972 et rien n'était pareil.

Le monde tel que nous le comprenions était divisé en deux camps: d'un côté, les pays démocratiques et capitalistes, c'est-à-dire nous. De l'autre, les pays totalitaires et communistes, c'est-à-dire eux.

À première vue, rien ne semblait nous lier. Sauf, dans le cas du Canada et de l'URSS, la passion du hockey.

Et voilà qu'on nous annonçait une série de huit matchs entre notre équipe et la leur. Pour la première fois, nos meilleurs joueurs affronteraient leurs meilleurs. Ça ne s'était jamais vu auparavant.

La première rencontre aurait lieu au Forum de Montréal le 2 septembre, soit il y aura 40 ans aujourd'hui. Personne ne l'avait prévu, mais cette date passerait à l'histoire.

Pour les Canadiens d'un océan à l'autre, qui doutaient de beaucoup de choses dans la vie sauf de l'excellence de leurs hockeyeurs, ce match constitua un choc terrible. Comme un coup de poignard dans nos certitudes collectives.

Quoi, les Russes, comme on les appelait familièrement, étaient meilleurs que nous?

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Où étiez-vous ce jour-là?

Plusieurs d'entre vous n'étaient pas nés ou trop jeunes pour se souvenir de cet incroyable moment. Moi, j'avais 12 ans et je me préparais à amorcer mon année scolaire. Passionné de hockey, je n'allais rien manquer de cette série marquée de mystère.

De l'URSS, nous ne connaissions presque rien. Mais nous savions que ses dirigeants n'étaient pas nos amis. C'était un pays à la fois intrigant et énigmatique. La guerre froide n'était pas aussi inquiétante que 10 ans auparavant. Mais la détente, cette période où les tensions entre les États-Unis et l'URSS diminuèrent, commençait à peine.

Quelques mois plus tôt, un premier accord avait été signé entre les deux gouvernements pour le contrôle des armes nucléaires. Les journaux publiaient souvent la photo de Léonid Brejnev, le leader de l'URSS, et son visage de glace n'était guère rassurant.

Malgré la force émanant de l'URSS, surtout au plan militaire, nous ne doutions pas un seul instant de la victoire des nôtres sur la patinoire. On se demandait plutôt si les Russes parviendraient à gagner un seul match.

Durant l'été, la composition de l'équipe canadienne avait suscité beaucoup de remous. Bobby Hull, le redoutable ailier des Blackhawks de Chicago, avait été écarté de la formation canadienne parce qu'il avait eu le malheur d'abandonner la Ligue nationale.

Contre toute attente, Hull avait signé un contrat de 10 ans avec les Jets de Winnipeg de la toute nouvelle Association mondiale de hockey. Même les exhortations du premier ministre Pierre Elliot Trudeau n'avaient pas fait céder Clarence Campbell, le président de la LNH.

Équipe Canada était une formation contrôlée par son circuit et les intérêts supérieurs du pays ne comptaient pas pour lui. Jean-Claude Tremblay, l'excellent défenseur du Canadien qui venait de s'entendre avec les Nordiques, n'avait pas davantage reçu d'invitation.

Les joueurs canadiens amorcèrent leur entraînement à la mi-août. Harry Sinden, des Bruins de Boston, était l'entraîneur, secondé de John Ferguson. Leur conception du hockey était simple, trop simple, allions-nous tous découvrir bientôt.

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Arrivée à Montréal sur un vol d'Aeroflot, l'équipe soviétique s'entraîna à l'aréna de Saint-Laurent la veille du match.

Leur rapidité étonna les observateurs même si Jacques Plante, le super gardien de but réputé pour la finesse de ses analyses, ne fut pas impressionné. «À quoi bon patiner s'ils vont au mauvais endroit sur la patinoire?...»

Vingt-quatre heures plus tard, dans un Forum rempli à craquer, les paroles de Plante semblèrent d'abord celles d'un oracle. Le Canada prit une avance de 1-0 après 30 secondes de jeu! Et de 2-0 dans la septième minute!

Décidément, cette série serait à sens unique. Et les pauvres Soviétiques seraient torpillés par la puissante attaque canadienne.

Cela ne dura pas. Devant un public abasourdi, les visiteurs égalèrent le score avant la fin du premier rendez-vous. Ils prirent l'avance en deuxième et réglèrent le cas d'Équipe Canada en troisième, remportant une victoire décisive de 7-3.

Plus que la défaite, c'est la manière dont les Soviétiques avaient joué qui nous donna un choc. Ils s'étaient montrés plus rapides, plus précis et surtout plus imaginatifs que nos joueurs.

«Ils ont effectué des jeux que je n'avais jamais vus dans la Ligue nationale, déclara Sinden, après le match. Ils nous ont sévèrement battus. Ils nous ont donné une leçon de hockey.»

Dans son autobiographie, où il raconte notamment avoir connu un après-midi d'amour dans les bras de sa compagne avant ce premier match, Phil Esposito avoue le désarroi ressenti après cette dégelée. «Je ne savais pas qu'ils pouvaient patiner comme ça. Personne ne nous l'avait dit.»

En fait, tout ce qu'Esposito connaissait des Soviétiques, c'est qu'ils étaient des communistes. Et Esposito, comme beaucoup de Canadiens, détestait les communistes. Il raconte même avoir voulu remporter la mise au jeu protocolaire d'avant-match parce qu'il ne voulait pas laisser ce privilège au «bâtard rouge» devant lui!

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Durant cette soirée du 2 septembre 1972, les Soviétiques ont bousculé l'univers sportif canadien. Et si la leçon faisait mal, elle provoquerait une amorce de réflexion sur l'état de notre hockey.

Mais dans les heures qui suivirent cette défaite sans appel, les préoccupations de millions d'amateurs étaient beaucoup plus terre à terre. Nos représentants gagneraient-ils un seul match?

La rencontre suivante était disputée deux jours plus tard, à Toronto. Des matchs à Winnipeg et à Vancouver suivraient les 6 et 8 septembre. Après une pause, les rivaux se retrouveraient à Moscou le 22 septembre pour la première de quatre rencontres.

Le Canada s'apprêtait à vivre les moments les plus extraordinaires de son histoire sportive. Et la légende de la Série du siècle se façonnait déjà.

C'était en 1972 et rien n'était pareil.

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