Pour Christine Sinclair et ses coéquipières, ce fut le plus beau des matchs, mais le plus cruel des revers. Le plus amer, aussi.

«Je n'ai pas l'impression qu'on a perdu, a dit Sinclair, capitaine de l'équipe canadienne. Je crois plutôt que l'arbitre nous a enlevé la victoire. C'est une honte que dans un match de cette importance, elle ait décidé du résultat avant même le début.»

Sinclair n'a jamais haussé le ton. Elle a parlé en serrant les dents, mais ses mots sont tombés comme des accusations.

Le jeu qui a provoqué cette colère est survenu dans la 80e minute de cette demi-finale disputée sur la pelouse mythique d'Old Trafford, domicile de Manchester United. Contre toute attente, le Canada menait alors 3-2 contre la puissante équipe des États-Unis.

L'arbitre, la Norvégienne Christina Pedersen, âgée de 31 ans seulement, a accordé un coup franc aux États-Unis parce que la gardienne canadienne Erin McLeod avait conservé le ballon plus longtemps que les six secondes permises après un arrêt. Une sanction sévère, d'autant plus qu'elle n'a été précédée d'aucun avertissement officiel.

Le coup franc a été tiré. Et le ballon a frappé le bras de la Québécoise Marie-Ève Nault. L'arbitre a alors accordé un tir de pénalité. L'attaquante Abby Wambach a saisi l'occasion pour égaler la marque 3-3 et forcer la tenue d'une prolongation.

Toute cette séquence a stupéfait McLeod. «Au début de la deuxième demie, la juge de ligne m'a dit de ne pas trop retarder le jeu, a expliqué la gardienne. Mais ce n'était pas un véritable avertissement. Sur le jeu contesté, l'arbitre m'a dit que j'avais conservé le ballon 10 secondes. Elle a sûrement compté celles où j'étais couchée sur le sol...»

Sinclair a contesté le verdict. Sans succès, évidemment. «L'arbitre m'a regardée en souriant et ne m'a fourni aucune explication. On rate une chance de jouer pour la médaille d'or. Nous sommes dévastées. Toutes les filles ont donné leur maximum. Je suis tellement fière de chacune d'entre nous...»

Puis, ironique, Sinclair a ajouté: «Peut-être que l'arbitre portera un chandail canadien à notre prochain match...»

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Blâmer l'arbitre n'a jamais été une recette gagnante. La décision controversée d'hier n'a pas mis fin à la rencontre. Quarante minutes de jeu ont ensuite été disputées. Les Canadiennes ont eu leurs chances de reprendre les devants.

Cela dit, leur déception s'explique - et pas seulement parce que les Américaines ont inscrit le but gagnant à la toute fin de la prolongation, après plus de 120 minutes de jeu.

Leurs efforts héroïques et leur exceptionnelle cohésion n'ont pas suffi pour enfin vaincre leurs rivales, contre qui elles accusent une fiche de 0 victoire, 22 défaites et 4 matchs nuls depuis 2001. Avec pour résultat qu'elles rateront la finale olympique. Il y a de quoi avoir le coeur brisé.

«Nos joueuses ont été frappées, elles se sont relevées et ont frappé à leur tour, a dit l'entraîneur John Herdman. C'est ce qui fait le plus mal. Elles ne pouvaient faire plus. Si les États-Unis sont honnêtes, ils avoueront avoir été chanceux ce soir.»

Cette déclaration a surpris les journalistes américains.

- «Que voulez-vous dire par là?»

Herdman a éclaté de rire.

«Dois-je répondre? Regardez la reprise. On la montrera sans doute durant les 10 prochaines années à la télévision canadienne! L'arbitre devra vivre avec ça maintenant. Nous, on ira de l'avant. Elle, j'ignore si elle en sera capable.»

Selon Herdman, son équipe aurait aussi pu profiter d'une faute de main des Américaines plus tôt dans le match. «Un arbitre peut commettre une erreur, on le sait tous. Mais il doit être constant. Les décisions à un bout du terrain doivent être les mêmes à l'autre bout.»

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Cette controverse est dommage à un autre titre.

Elle jette de l'ombre sur le match d'anthologie de Sinclair. Sa performance est l'un des grands moments canadiens des Jeux de Londres.

L'attaquante de 29 ans a marqué les trois buts de son équipe. Le premier après une feinte remarquable, les deux autres sur des têtes précises.

Avant la rencontre, la gardienne américaine Hope Solo, reine des déclarations-chocs, avait affirmé ne pas avoir été «testée» très souvent depuis le début du tournoi. Lorsque Sinclair l'a mise à l'épreuve, elle a été incapable de la contrer.

«On a surveillé Christine Sinclair de près tout le match et elle a tout de même marqué trois buts, a dit l'entraîneuse américaine Pia Sundhage. C'est dire à quel point elle est une joueuse merveilleuse.»

Sinclair, elle, n'avait pas le coeur à célébrer sa performance. «Peut-être que ce sera différent dans quelques mois, mais pas aujourd'hui...»

Ce fut un match épique, comme le sport ne nous en offre que rarement. Le résumer à une mauvaise décision de l'arbitre ne rend pas justice aux efforts des deux équipes.

Le Canada disputera la médaille de bronze à la France, jeudi, à Coventry. «Notre objectif était de monter sur le podium, a rappelé Herdman. Ce ne sera ni l'or ni l'argent, mais nous quitterons ce tournoi avec une médaille.»