Il s'appelait Hickstead et il était le meilleur cheval du monde. Champion olympique des Jeux de Pékin, il aurait été le favori pour répéter l'exploit à Londres, avec son cavalier Éric Lamaze.

Mais voilà: en novembre dernier, Hickstead est mort en pleine compétition, dans un Grand Prix à Vérone, en Italie.

Devant une foule tétanisée, il s'est écroulé, victime d'une rupture de l'aorte. Pendant de longues secondes, couché sur son flanc gauche, Hickstead a agité ses pattes. Sa courte agonie, si douloureuse et si publique, a été déchirante.

Au cours des jours suivants, Lamaze s'est interrogé sur la suite de sa carrière. «J'ai deux choix: me retirer ou me battre.»

Compte tenu de son tempérament de guerrier, l'issue de sa réflexion n'a jamais fait de doute. Voici donc Éric Lamaze à Londres, à la tête d'une intrigante équipe canadienne.

Autour de lui, on retrouve Ian Millar, 65 ans bien sonnés, qui ressemble plutôt à un président de fédération. Et Tiffany Foster, une jeune femme de 28 ans au visage rayonnant, la protégée de Lamaze.

Il y a quatre ans, Tiffany Foster a chuté d'un cheval à l'entraînement. Elle s'est brisé le dos et les médecins ont craint un moment qu'elle ne marche plus jamais. Même en évoquant cette grave blessure, elle rit. «Hé, je suis à Londres!», lance-t-elle.

Le groupe est complété par Jill Henselwood, une cavalière d'expérience, et Yann Candele, qui a grandi en Normandie avant d'émigrer au Canada.

Éric Lamaze est lucide. La mort d'Hickstead a compromis ses chances d'obtenir une médaille la semaine prochaine.

«Hickstead aurait été encore en pleine forme pour les Jeux de Londres, dit-il. Cette tragédie a changé les choses. S'il avait été ici, j'aurais vraiment ressenti l'impression de défendre mon titre. Là, je sais que ce sera très difficile.»

Lamaze sera aux guides de Derly Chin de Muze, une jument de 9 ans.

«C'est un jeune cheval, dit-il. Derly Chin a de belles qualités, mais manque d'expérience. On aurait eu besoin de plus d'heures d'entraînement.»

En équitation, la complicité entre le cavalier et sa monture est essentielle au succès. Développer ce lien nécessite du temps.

Ainsi, Lamaze a longtemps cru que ça ne fonctionnerait jamais avec Hickstead, qui craignait les obstacles d'eau. Mais il a transformé ce cheval difficile en champion à force de patience et d'amour.

Oui, l'amour joue un grand rôle. Lamaze l'avait expliqué dans des mots simples après la mort d'Hickstead: «On choisit ce sport parce qu'on aime les chevaux. Ils deviennent des membres de la famille et changent nos vies. Hickstead et moi, on avait la même énergie».

Au cours des jours suivant la mort du cheval, Lamaze a reçu des milliers de messages de sympathie. «Ces témoignages m'ont renversé. Les gens m'ont envoyé des photos et des dessins d'Hickstead.»

Cet intense courant de solidarité, le cavalier de 44 ans l'explique ainsi: «Hickstead était connu dans le monde entier. C'était un médaillé d'or olympique, qui avait aussi gagné tous les Grands Prix importants. Il était un petit cheval avec une allure un peu particulière, facilement reconnaissable. Lorsqu'il est mort, les gens ont eu de la peine pour lui. Et de la peine pour moi. Il y a eu beaucoup d'émotion».

Le choc initial de la mort d'Hickstead à peine surmonté, Lamaze a vite dû trouver un nouveau cheval en vue des Jeux.

«Les propriétaires auxquels je suis associé ont été fantastiques. Au moment où j'ai eu besoin de leur appui, ils m'ont encouragé à persévérer.»

Si Lamaze est le leader du clan canadien, Ian Millar en impose par son fabuleux parcours olympique. Avec sa 10e participation aux Jeux, il se détache d'Hubert Raudaschl, un marin autrichien qui partageait jusque-là le record avec lui.

«Je n'ai jamais fait de bateau, mais je pense que s'asseoir sur un cheval et faire des sauts est plus difficile! lance Millar, en riant. C'est comme comparer des pommes et des oranges. Cela dit, je ne veux pas lui faire de peine...»

Cette attitude confiante, teintée d'humour et d'irrévérence, explique en partie la longévité de Millar. Son talent et sa capacité d'adaptation font le reste.

«Notre sport est comme tous les autres, dit-il. Il a beaucoup évolué depuis les années 70. Les techniques, le matériel, les parcours, tout a changé. J'aime ce défi de demeurer au sommet.»

Le concours équestre a lieu à Greenwich Park, dans l'est de Londres. C'est le plus vieux parc londonien, avec des frontières immuables depuis le XVe siècle.

Des gradins, on aperçoit la «Maison de la Reine», un cadeau du roi Jacques Ier à son épouse, Anne du Danemark. Il lui aurait offert ce manoir en guise d'excuses après lui avoir fait des reproches en public. Anne venait d'abattre accidentellement un de ses chiens favoris pendant une partie de chasse.

C'est dans ce décor fabuleux que la finale du concours par équipes de sauts aura lieu lundi, et celle du concours individuel, mercredi.

Les Britanniques raffolent des sports équestres et les gradins seront bondés. Hier, par exemple, le concours de dressage, un spectacle résolument pour initiés, était présenté à guichets fermés.

Lamaze vivra un grand moment lorsqu'il s'élancera sur la piste. Mais il aura aussi une pensée pour Hickstead, le grand absent de cette compétition.