Dans l'allée derrière les garages du Grand Prix du Canada, des travailleurs amorcent le démontage des installations. La course est terminée depuis deux heures et François Dumontier, qui vient de traverser les semaines les plus exigeantes de sa carrière de promoteur, ne cache pas son soulagement.

«On est une mauvaise cible», dit-il à propos des manifestants qui ont visé son événement au cours des derniers jours.

«Les gens ont une mauvaise perception. Ils pensent que ce sont seulement des riches qui achètent des billets. Dans ma liste de clients, il y a des gens qui économisent toute l'année. D'autres n'ont pas raté une course depuis 20 ou 25 ans. C'est un pèlerinage pour eux.»

Le regard étonnamment serein, Dumontier défend son Grand Prix avec vigueur. Plus de 100 000 spectateurs ont assisté, sous un soleil radieux, à une course qui a couronné un gagnant sympathique, Lewis Hamilton.

Après sa victoire, le pilote britannique a multiplié les compliments à l'endroit du public montréalais, affirmant ressentir au Québec des émotions aussi fortes qu'à Monaco, ce qui n'est pas rien!

Au-delà de ces bons mots, tous les visiteurs dans l'île Notre-Dame ont compris que le Grand Prix n'a pas été couru dans l'ambiance habituelle. La forte présence policière a coloré l'événement. Impossible de parler d'une journée magique dans ces circonstances.

Dumontier espère vivement que la controverse autour de l'épreuve de cette année ne soit qu'une anomalie provoquée par les suites du conflit étudiant. L'avenir nous le dira. Mais peu importe, le Grand Prix n'échappera pas aux questions qui confrontent les grandes entreprises carburant aux investissements publics.

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Les gouvernements, comme nous l'apprend mon collègue Gabriel Béland, s'apprêtent à prolonger de 10 ans l'entente les liant à Bernie Ecclestone.

L'occasion serait belle de réévaluer les retombées économiques de l'événement. En 2009, le ministère des Finances du Québec les a estimées à 89 millions. Il ne s'agit pas du résultat d'une étude, mais de projections établies à partir des chiffres de Tourisme Montréal.

De son côté, Tourisme Montréal dit que ses données viennent du promoteur du Grand Prix, couplées à «quelques infos sur les hôtels». Le promoteur lui-même dit ne pas être familier avec les retombées totales, ne connaissant que ses propres chiffres.

En clair, cela signifie qu'aucune étude approfondie, menée par des experts indépendants et fondée sur une méthodologie rigoureuse, n'a jamais été effectuée. Le chiffre de 89 millions est désormais accepté comme une vérité absolue même s'il repose sur une base fragile.

Personne ne doute que le Grand Prix est économiquement profitable à Montréal, mais une mesure plus juste de son impact serait bienvenue. Et aiderait les promoteurs à mieux positionner leur événement.

Quant à la future entente avec Ecclestone, souhaitons qu'elle soit d'une transparence totale pour les contribuables. Le roi de la Formule 1 exigerait une hausse modeste de la contribution gouvernementale, soit moins d'un million en 2015. Mais la modestie des demandes n'ayant jamais caractérisé Ecclestone, la prudence est de mise.

Actuellement, Ecclestone reçoit près de 25 millions par année en retour du droit d'organiser le Grand Prix: 15 millions des gouvernements, et environ 8 à 10 millions tirés des recettes du promoteur.

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Au-delà du volet argent, il y a celui de la perception. Le bal du Grand Prix, jeudi soir, a provoqué un affrontement entre manifestants et policiers.

Dans un contexte de tension sociale, la charité au champagne comporte des risques. La cause était honorable, soit la cueillette de fonds pour les hôpitaux du Sacré-Coeur et Sainte-Justine.

En vigueur depuis trois ans, cette initiative a été prise après qu'on eut reproché aux acteurs du Grand Prix d'atterrir à Montréal, d'empocher de l'argent et de n'effectuer aucune contribution sociale. Voilà pourquoi Bernie Ecclestone et des pilotes assistent à la soirée.

Le Grand Prix aurait néanmoins avantage à ajouter à son calendrier un projet communautaire plus inclusif.

La Société du parc Jean-Drapeau, qui gère l'île Notre-Dame, pourrait aussi suggérer une façon pour que la mise au niveau de certaines infrastructures, comme les garages, puisse servir les visiteurs de l'Île Notre-Dame le reste de l'année. Après tout, la facture de 20 millions sera acquittée par les contribuables.

Quant à l'annulation de la journée «portes ouvertes», elle a fait mal au Grand Prix. Mais Dumontier, qui qualifie la décision de «crève-coeur», n'avait pas vraiment le choix. Ni Bernie Ecclestone ni les écuries ne lui auraient pardonné le moindre incident malheureux.

Les organisateurs devraient tout de même faire un effort exceptionnel pour compenser les passionnés de Formule 1 l'an prochain. Cette journée pourrait être bonifiée afin de rendre leur visite encore plus intéressante. Ce serait une façon simple de leur dire merci.

Enfin, si le Grand Prix veut répliquer aux accusations d'être un événement polluant, il devrait devenir entièrement carboneutre.

La Fédération internationale de l'automobile a déjà une politique à ce sujet, qui couvre la course de Montréal comme toutes les autres. Et le Grand Prix recycle beaucoup. Mais il pourrait être plus efficace sur le plan environnemental.

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Malgré une course enlevante, le Grand Prix 2012 rappellera plusieurs mauvais souvenirs. «Les deux dernières semaines ont été éprouvantes...», lance François Dumontier.

Avec le recul, les événements des derniers jours fourniront néanmoins des pistes pour renforcer l'image de la course et aider ses promoteurs à répondre aux critiques. Sur le plan de l'engagement social, le Grand Prix et ses partenaires doivent faire mieux.

Reste à savoir s'ils saisiront cette occasion.