Un jour de l'été dernier, Marc Bergevin s'est dirigé sur la rue Centre, à deux pas de la station de métro Charlevoix, dans le quartier Pointe-Saint-Charles. Il souhaitait montrer à ses trois enfants l'endroit où il avait grandi. Sa famille habitait un appartement de trois chambres à coucher. Avec le grand-papa qui partageait leur vie, ils étaient huit à s'entasser dans ce modeste logement.

«Je voulais que mes enfants sachent d'où je viens, explique Bergevin. Ils ont regardé ça avec de gros yeux. On avait des lits superposés, d'autres couchaient sur un divan. L'appartement était petit. Mes soeurs, mon frère et moi, on n'avait pas beaucoup de choses. Mais on était gâtés. Gâtés d'amour. Et avec ça, on peut accomplir beaucoup.»

Le père de Bergevin, un homme carré et solide, avec des mains immenses, était pompier à la Ville de Montréal. Un passionné de hockey, évidemment. Comme tout le reste de la famille, qui a parcouru des centaines de kilomètres pour assister aux matchs de Marc avec les Saguenéens de Chicoutimi, son équipe junior au début des années 80.

Le nouveau directeur général du Canadien est le plus jeune de cinq enfants. Deux de ses soeurs, Paulette et Carole, étaient à Brossard hier, pour assister au plus grand jour de la carrière de leur petit frère. Les entrevues terminées, elles ont quitté les coulisses pour le retrouver. «Tu as bien fait ça...», lui ont-elles dit, en lui donnant la bise.

Les grandes soeurs, qui ont changé les couches de Marc lorsqu'il était bébé, ont vécu avec beaucoup d'émotion l'annonce d'hier.

«Marc nous en a fait vivre des affaires! explique Carole. Quand il est parti pour Chicoutimi à 17 ans, j'ai pleuré. Et j'étais tellement inquiète lorsque les Black Hawks l'ont repêché. Chicago, c'est une grosse ville. J'avais peur qu'il se perde! Et il ne parlait pas anglais...»

Carole, Paulette, Denise et Jean-Paul n'avaient pas à s'inquiéter. À Chicago, leur petit frère, leur «bébé» comme ils le disent si affectueusement, n'a perdu ni son chemin, ni ses valeurs. Il en a fourni la plus belle preuve à l'été 2010, peu après la victoire des Black Hawks en finale de la Coupe Stanley.

Comme tous les autres membres de l'organisation, Bergevin, alors directeur du personnel des joueurs, a eu droit à la Coupe pendant une journée.

Flanqué de toute sa famille, il a apporté le trophée au cimetière de Sainte-Martine, près de Châteauguay, là où ses parents reposent. Réunis devant leurs pierres tombales, la Coupe Stanley à leurs côtés, les Bergevin ont vécu un moment de vive émotion. Ils savaient tous combien leurs parents auraient été fiers de Marc.

«S'il y a une chose que je voulais faire avec la Coupe, c'était ça, dit Bergevin, la voix brisée et en écrasant une larme du doigt. Je me l'étais promis. C'était important pour moi.»

Puis, après un moment de silence, il répète lentement: «Oui, c'était important pour moi...»

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Geoff Molson ne savait presque rien de Marc Bergevin lorsqu'il lui a parlé une première fois, le 10 avril dernier. Il connaissait sa longue carrière dans la Ligue nationale, sans plus. Chose sûre, il ne l'aurait pas reconnu s'il l'avait croisé dans la rue.

«Pendant qu'on discutait au téléphone, j'ai tapé son nom dans Google, raconte le président du Canadien. Je voulais trouver une photo pour voir à quoi ressemblait le gars à qui je parlais!»

Leur premier entretien en personne a eu lieu à New York. Serge Savard était aussi présent. Cette entrevue terminée, le nom de Bergevin a été inscrit dans le groupe des candidats sérieux.

Au cours des jours suivants, Molson et Savard ont rencontré d'autres aspirants et multiplié les coups de téléphone pour obtenir des informations au sujet des candidats. Puis, Bergevin a été convié à une deuxième entrevue. Il est arrivé à Montréal dimanche soir.

Lundi matin, après avoir conduit ses enfants à l'école peu après 8 heures, Geoff Molson est allé chercher Bergevin à son hôtel. Les deux hommes se sont dirigés au complexe d'entraînement du Canadien, à Brossard, où Serge Savard les attendait.

«Marc devait reprendre l'avion pour Chicago en après-midi, raconte Molson. On croyait discuter deux ou trois heures. Mais la conversation s'est poursuivie beaucoup plus longtemps. À un certain moment, Serge et moi lui avons demandé de sortir du bureau afin de parler entre nous.

«Le plan n'était pas de compléter le processus ce jour-là. Mais on s'est regardé dans les yeux et on s'est dit: 'Pourquoi pas?' C'est le bon candidat, offrons-lui le poste maintenant. Serge et moi étions sûrs de notre coup.»

Trente minutes plus tard, Molson et Savard ont retrouvé Bergevin, qui les attendait dans un autre bureau. Le président du Canadien s'est adressé à lui: «Marc, on est très contents de nos discussions avec toi. C'est une grande responsabilité, mais on est sûr que tu es l'homme de la situation. On veut t'offrir le poste.»

Au cours des heures suivantes, les deux parties se sont entendues sur un contrat de cinq ans. Bergevin a repris l'avion pour Chicago, afin de prévenir sa famille. Il est revenu à Montréal tard mardi soir, en prévision de la rencontre de presse d'hier.

Geoff Molson l'avoue: en faisant monter Bergevin dans sa voiture lundi matin, il ne croyait pas procéder si vite à une embauche. «Je pensais que ce serait la semaine prochaine...»

En 24 heures, Bergevin a posé deux gestes qui ont ravi son nouveau patron. Le premier, parce qu'il donne une idée de son sens de la famille; le second, parce qu'il fournit une indication de son style de gestion.

«Marc est retourné à Chicago pour annoncer la nouvelle de vive voix à sa famille, explique Geoff Molson. Ça m'a rendu heureux qu'il agisse ainsi.

«Ensuite, il a vite annoncé sa décision à propos de Randy Cunneywoth. Il ne voulait pas le mettre dans une situation difficile. Il l'a appelé avant la conférence de presse pour l'informer qu'il choisirait un autre entraîneur. C'est déjà un geste de leadership.»

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En moins de 24 heures à la barre du Canadien, Marc Bergevin a annoncé ses couleurs.

Un nouvel entraîneur, bilingue, sera en poste la saison prochaine. Et l'organisation renforcera de manière marquée son recrutement au Québec.

Bergevin veut travailler en équipe. Il sait que les attentes à son endroit sont énormes. «L'inconnu ne me fait pas peur. Je suis sûr d'être prêt à occuper ce poste.»

Peu importe les difficultés, le nouveau DG entend demeurer fidèle à ses principes: «Sois humble, reste toi-même et n'oublie jamais d'où tu viens», dit-il.

En quelques heures à peine, un gars de Pointe-Saint-Charles a redonné du souffle au Canadien.

Photo: André Pichette, La Presse

En quelques heures à peine, hier, un gars de Pointe-Saint-Charles a redonné du souffle au Canadien.