Le dossier des commotions cérébrales a éclipsé tous les autres dans le hockey au cours des 12 derniers mois. Les événements se sont bousculés à une vitesse renversante.

Le 1er janvier dernier, lorsque Sidney Crosby a été victime d'un coup à la tête durant la Classique hivernale, cet enjeu ne soulevait pas le débat passionné d'aujourd'hui.

Au match des étoiles moins d'un mois plus tard, Gary Bettman a minimisé l'ampleur du problème. Rien dans son ton ne traduisait une réelle inquiétude, pas même l'absence de Crosby, la tête d'affiche du circuit.

Au moment où l'année s'achève, le constat est terrible. Après un bref retour au jeu, Crosby éprouve de nouveau des symptômes liés aux commotions cérébrales. Et voilà que Claude Giroux, le meilleur pointeur du circuit, souffre à son tour de ce mal.

La LNH, qui a toléré pendant des années les coups à la tête, se retrouve dans l'embarras. Deux de ses meilleurs joueurs, ceux que le public veut voir en action, sont contraints à l'inactivité et s'interrogent sûrement sur leur avenir.

Et si Giroux a été victime d'un coup accidentel d'un coéquipier, ce ne fut pas le cas de Crosby en janvier dernier, ni de David Perron, de Marc Savard, de Francis Bouillon, de Kristopher Letang et de plusieurs autres.

Dans ces circonstances, peut-on entretenir l'espoir d'enrayer un jour ce fléau? Oui. Comme dans le cas des maladies industrielles, la connaissance triomphera et modifiera les comportements. Le processus est lancé. Malgré les hésitations de la LNH.

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L'impact des commotions cérébrales auprès des joueurs, des dirigeants d'équipe, des amateurs et des médecins n'est plus le même qu'en janvier dernier. Le degré de conscientisation a bondi. La notoriété et la popularité de Crosby l'expliquent en partie.

Mais il y a plus. Les travaux des spécialistes de l'Université de Boston, qui évoquent un lien entre les commotions cérébrales et l'encéphalopathie traumatique chronique, une maladie dégénérative du cerveau, connaissent du retentissement. Bob Probert, Reggie Fleming, Richard Martin et Derek Boogaard ont laissé leur cerveau à la science. Ce don, qui a mené à des découvertes étonnantes, fait progresser les recherches.

De son côté, le hockey amateur a compris que le leadership ne viendrait jamais du siège social de la LNH à Manhattan. Au printemps dernier, Hockey Canada a adopté une politique de tolérance zéro quant aux coups à la tête, même au niveau junior majeur, une des portes d'entrée dans la LNH.

«Notre boulot, c'est d'influencer la Ligue nationale», m'a expliqué Bob Nicholson, le président de Hockey Canada, en août dernier. «Les joueurs qui grandissent dans le système canadien comprendront qu'il existe une meilleure manière de jouer au hockey, sans donner de coups à la tête ou sans frapper un adversaire dans une position vulnérable. C'est une question de respect.»

Cette déclaration de Nicholson compte parmi les plus significatives de l'année. Le hockey n'est pas différent des autres sphères de la vie: tout commence par l'éducation.

Deux autres événements ont changé à jamais les perceptions des coups à la tête. D'abord, l'affaire Chara-Pacioretty, le 8 mars dernier. Ensuite, la mort subite de trois bagarreurs, tous dans la fleur de l'âge, durant l'été.

À la suite de son coup malicieux à l'endroit de Max Pacioretty, Zdeno Chara a été blanchi, une décision stupéfiante. N'en reste pas moins que les effets de cette histoire ont été plus importants qu'une simple suspension.

Le puissant ressac a forcé la LNH à réagir dès la semaine suivante.

Lors d'une réunion des directeurs généraux en Floride, la LNH a annoncé un plan en cinq étapes pour lutter contre les commotions cérébrales.

Un protocole de retour au jeu a été instauré pour les joueurs victimes d'un coup à la tête. L'incident Chara-Pacioretty a influencé l'adoption de ces mesures. La LNH aurait perdu toute crédibilité si elle avait ignoré le contexte et repoussé le problème.

Les mesures annoncées sont insuffisantes, mais constituent un pas dans la bonne direction. Tout comme la nomination de Brendan Shanahan au poste de vice-président à la sécurité des joueurs.

Membre d'une nouvelle génération de dirigeants, Shanahan n'a pas à défendre le passé. Il peut imposer un plus grand nombre de sanctions sévères, notamment à la suite de l'élargissement du règlement 48, qui pénalise les coups à la tête. Depuis l'automne, ceux-ci sont tous susceptibles d'entraîner une suspension, pas seulement s'ils proviennent d'un angle mort.

Les morts subites de Derek Boogaard, de Rick Rypien et de Wade Belak ont aussi provoqué une réflexion sur l'avenir des bagarres. La position de Gary Bettman, qui refuse de les remettre en cause, est intenable intellectuellement. Si la LNH veut limiter le nombre de commotions cérébrales, elle devra punir les coups de poing à la tête aussi sévèrement que les coups de coude ou de hockey.

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Les commotions cérébrales existent depuis toujours dans le hockey. Mais la science commence à peine à s'y intéresser.

Dans un livre sur Bobby Hull publié cet automne, le journaliste Gare Joyce avance cette hypothèse: l'ancien joueur vedette aurait subi une douzaine de commotions cérébrales durant sa carrière.

Il est hasardeux de dresser des diagnostics des dizaines d'années après les événements. N'empêche que la lecture de certains articles de l'époque intrigue. Ainsi, après avoir été plaqué par Jack Evans durant les séries de 1961, Jean Béliveau déclarait au journaliste Claude Larochelle, de Sport-Revue: «J'ai été frappé à la tête dans cette collision avec Evans et j'ai été ébranlé pour le reste de la demi-finale. J'avais l'impression que le volume de ma tête avait doublé».

Dans son autobiographie publiée en 1994, Béliveau précise: «On a diagnostiqué une 'légère commotion' après le coup que m'avait administré Evans, mais jamais commotion n'aura eu un effet si prolongé sur qui que ce soit. J'en étais à peine remis au camp d'entraînement, en septembre. Je croyais même que j'avais subi une fracture du crâne...»

L'époque où des joueurs comme Béliveau comprenaient mal pourquoi ils perdaient leur énergie après avoir subi un coup à la tête est derrière nous. Bien sûr, trop de temps aura été nécessaire avant de faire des commotions cérébrales un enjeu majeur du hockey. Mais mieux vaut tard que jamais. Des percées importantes ont été réalisées en 2011.

Hélas, cela ne permettra pas à Sidney Crosby, Claude Giroux et aux autres de guérir plus vite. Mais la prise de conscience survenue au cours des 12 derniers mois laissera des traces durables.

En janvier dernier, la LNH ne croyait pas que les événements la forceraient à sortir de son inertie pour lutter contre les coups à la tête. Le mouvement en ce sens se poursuivra. Et, à petits pas, la LNH ajustera ses règlements pour punir toujours plus sévèrement ces coups si dangereux, et dissuader les bagarreurs de laisser tomber les gants. Pas nécessairement de gaieté de coeur. Mais parce que la pression des milieux sportifs et scientifiques ne lui laissera pas le choix.