Un jour de 2004, Johanne Dufour et Yves Lapointe se sont rendus à l'évidence. Mieux valait vendre le voilier. Une décision déchirante lorsqu'on a le pied marin et qu'on raffole naviguer les beaux jours d'été, sur le lac Champlain.

Mais avec trois filles en voie de devenir des athlètes d'élite, les priorités familiales ont été revues. Sauf la plus importante, la clé de l'entente entre les parents et leur douée progéniture. Maxime, Chloé et Justine profiteraient d'un appui total si la réussite scolaire était au rendez-vous.

Ce week-end, au moment où s'amorce la nouvelle saison de ski acrobatique en Finlande, la famille Dufour-Lapointe peut analyser le passé avec fierté. Et envisager l'avenir avec optimisme.

Les trois jeunes femmes comptent parmi les têtes d'affiche de l'équipe canadienne de bosses et relèvent avec succès le pari académique. Pas facile, lorsqu'on voyage partout dans le monde pendant l'année scolaire.

«Je suis fière de mes filles, lance Mme Dufour. La vie des athlètes est pleine de hauts et de bas. Il faut être fort pour passer au travers. Chacune d'elles a mon admiration. Et pour réussir ses études dans ces conditions, il faut une détermination incroyable.»

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Les sports olympiques d'hiver ont connu une puissante transformation au cours des 20 dernières années. Les nouvelles disciplines sont nombreuses et le mouvement n'est pas en voie de s'arrêter. Si le spectaculaire ski cross des Jeux de Vancouver vous a étonnés, attendez de découvrir le slopestyle en ski et en surf des neiges, à Sotchi, en 2014!

Les jeunes sont à l'avant-plan de cette évolution. Les parents demeurent parfois surpris quand leurs enfants s'intéressent à ces disciplines casse-cou. Ce fut le cas de Johanne Dufour et Yves Lapointe lorsque leurs filles ont découvert le ski de bosses.

«Notre passion était la voile mais on s'était mis au ski pour passer l'hiver, raconte Mme Dufour. On avait des amis dont le fils faisait des bosses. Maxime a eu le goût d'essayer. Nous, on ne voulait rien savoir de ça, on préférait le ski en famille. Mais elle a insisté, puis ses deux soeurs par la suite... On a cédé.»

De fil en aiguille, ce sport a transformé leur vie. Les trois filles ont montré du talent et l'entraînement est devenu une affaire annuelle. L'été s'est soudainement rempli de séjours à Lake Placid afin de profiter d'installations adéquates.

Quand on connaît les sacrifices en temps et en argent consentis par les parents d'un athlète d'exception, on ose à peine imaginer les coûts lorsqu'elles sont trois! «Entre trop et beaucoup trop!», répond Mme Dufour, en éclatant de rire.

Un autre défi s'ajoute: les soeurs sont aussi des concurrentes. Maxime rêvait de participer aux Jeux olympiques de 2010, c'est finalement Chloé qui s'est qualifiée, terminant au cinquième rang. Chloé rêvait de remporter l'or au Mont-Gabriel en janvier dernier, c'est finalement Justine qui a causé la surprise.

«Elles ont appris à dédramatiser, explique Mme Dufour. Ça prend de la maturité, de l'humilité et beaucoup d'amour. Elles sont soudées comme jamais.»

Il suffit de voir Maxime, Chloé et Justine côte à côte pour comprendre combien leur mère dit vrai. Des adversaires? Par la force des choses, oui! Mais chacune des soeurs connaît très bien le nom de ses deux plus grandes fans sur le circuit.

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À 22 ans, Maxime est l'aînée. Elle termine son cégep à distance et ses notes lui permettent d'espérer l'admission dans une faculté de médecine. Chloé, 20 ans, étudie en sciences humaines au cégep et Justine, 17 ans, vient de terminer son secondaire.

Leur vie n'est pas banale et elles le réalisent bien. Le sport leur permet de vivre des expériences exceptionnelles. «J'ai appris des choses que l'école ne m'aurait pas enseignées, dit Maxime. J'ai voyagé, j'ai développé mon autonomie, j'ai appris à communiquer avec les médias... Il y a dans tout ça une richesse qui me servira plus tard.»

Les soeurs Dufour-Lapointe rêvent des Jeux de Sotchi. Elles peuvent se concentrer entièrement sur leur discipline, sachant que leurs parents sont toujours derrière elles. Johanne Dufour, par exemple, est plus qu'une maman: elle gère aussi leur carrière. «On a besoin de notre mère!», lancent les filles, les yeux rieurs.

L'hiver dernier, même s'il ne s'agissait pas d'une année olympique, les exploits d'Alex Harvey, Érik Guay, Jennifer Heil et Marianne St-Gelais ont fait les manchettes. Le Québec est magnifiquement représenté sur la scène sportive internationale. Les soeurs Dufour-Lapointe entendent poursuivre sur cette lancée au cours des prochains mois.

«Lorsqu'on met des enfants au monde, on espère les rendre autonomes, ajoute Mme Dufour. Je pense qu'on arrive à ça...»

Les trois soeurs volent désormais de leurs propres ailes. Leurs parents en ont donné un signal clair l'an dernier. Ils ont racheté un voilier.

Photo: André Pichette, La Presse

La vie de Chloé, Justine et Maxime Dufour-Lapointe n'est pas banale grâce au sport.