Pendant que Gary Bettman et les gouverneurs de la LNH planchaient sur la refonte des divisions cette semaine, le New York Times (NYT) a publié un reportage percutant sur la vie et la mort de Derek Boogaard, l'ancien dur à cuire des Rangers, mort d'une surdose de médicaments et d'alcool en mai dernier.

En trois jours, le NYT a consacré 9 pages à ce récit déchirant. Dimanche, un numéro tiré à 1,3 million d'exemplaires, la une de la section des sports était entièrement consacrée à cette histoire accablante pour les partisans des bagarres dans le hockey professionnel. Sur le web, des suppléments vidéo ont ajouté une dimension saisissante à l'histoire.

On y voit notamment une image forte. Les yeux tristes, Len Boogaard, le père de Derek, explique combien il s'inquiétait des mains et des jointures de son fils en le voyant se battre sur la patinoire lorsqu'il était plus jeune: «C'est fou, mais la possibilité qu'il souffre de commotions cérébrales ne m'a jamais traversé l'esprit».

Cette déclaration n'est pas naïve. Elle illustre simplement combien les commotions cérébrales ont longtemps été loin de nos préoccupations, même lorsque des joueurs s'échangeaient des coups de poing à la tête.

La science permet maintenant d'en saisir les terribles conséquences. Voilà pourquoi le statu quo est inadmissible. Il faut enrayer ce fléau et préserver l'intégrité physique des athlètes, pendant et après leur carrière.

En accordant un traitement si exceptionnel au cas Boogaard, le NYT ne pose pas un geste innocent. L'influent quotidien lance un puissant message à la LNH et l'invite à prendre ses responsabilités. New York est le coeur de l'univers médiatique et économique des États-Unis. L'impact du dossier n'est pas banal.

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Au moment de sa mort, le cerveau de Boogaard montrait des signes avancés de dégénérescence. Selon des spécialistes de l'Université de Boston, le colosse de 6'7 souffrait d'encéphalopathie traumatique chronique (ETC), une affection proche de la maladie d'Alzheimer. Son état était si grave qu'il aurait sans doute développé des problèmes de démence dès la quarantaine.

Les chercheurs ont été renversés qu'un homme d'à peine 28 ans présente pareils symptômes. «C'est un moment "Wow" dans nos travaux», a affirmé au NYT la docteure Ann McKee.

Boogaard a disputé son dernier match en décembre 2010, peu après avoir accepté un salaire annuel de 1,5 million des Rangers. Un combat contre Matt Carkner, des Sénateurs d'Ottawa, a constitué son chant du cygne. Boogaard a alors amorcé une chute aux enfers, durant laquelle il a absorbé des comprimés antidouleurs à la poignée.

Boogaard avait développé cette habitude plus tôt dans sa carrière. Il a constaté que les médecins au service des équipes ne mettaient pas en commun leurs informations. Alors qu'il jouait pour le Wild du Minnesota, il a obtenu 11 prescriptions de 8 médecins différents, en 3 petits mois.

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Le cas Boogaard est sans doute extrême. Selon les chercheurs, il a montré des signes d'instabilité émotionnelle et de toxicomanie dans les deux années précédant sa mort. Sa famille soutient qu'il a subi une vingtaine de commotions cérébrales.

Le docteur Robert Cantu, co-directeur du projet de recherche, a commenté avec réserve le cas Boogaard. Il n'a pas voulu «sur-interpréter» la découverte d'ETC dans son cerveau. «Il est néanmoins possible, a-t-il ajouté, que se battre fréquemment augmente les risques de subir cette maladie du cerveau.»

J'aimerais vous dire que Gary Bettman, prenant pleinement la mesure de ces informations, a promis de s'attaquer au problème. Désolé. Les choses ne se passent pas ainsi dans la LNH.

Lorsque le NYT lui a rappelé que le docteur Cantu et son équipe étaient déçus du manque d'intérêt de la LNH envers leurs travaux, contrairement à l'appui manifesté par la NFL, Bettman a rétorqué, frondeur: «Nous ne les soutenons pas financièrement comme d'autres le font, c'est peut-être le problème...»

Bettman a ajouté: «Leur propension à tirer des conclusions à un stade très préliminaire est fantastique pour les manchettes, mais ne fait pas nécessairement avancer la recherche».

Si je comprends que Bettman défende sa ligue lorsqu'il la croit attaquée, il ne s'honore pas en imputant des motifs mesquins à des chercheurs voulant faire progresser les connaissances.

En 2011, trois anciens bagarreurs sont morts dans la fleur de l'âge. Malgré tout, Bettman défend les combats, rappelant qu'ils ont toujours existé. Non, ce n'est pas sous son impulsion qu'on cessera de sa taper sur la gueule dans la LNH.

Un jour, néanmoins, les bagarres ne seront plus tolérées. La LNH devra se rendre à l'évidence: pour diminuer le nombre de commotions cérébrales, il faudra interdire les coups de poing à la tête, comme on interdit les coups de coude.

Si le bon sens ne suffit pas à en arriver là, d'anciens joueurs déposeront éventuellement des poursuites, comme c'est le cas dans la NFL. Bettman, ou son successeur, devra alors répondre de la déplorable inaction de la LNH.

Photo: PC

Derek Boogaard, alors avec le Wild du Minnesota, a reçu cette gauche en plein visage de Steve MacIntyre, des Oilers d'Edmonton.