Près de cinq mille étudiants qui manifestent. Un car de reportage renversé. Des policiers aux aguets. Quelle est la cause ainsi défendue? Le gel des droits de scolarité? La lutte contre le réchauffement climatique? Une distribution plus équitable de la richesse?

Hélas, non! Les jeunes gens réunis près du campus de l'Université Penn State, mercredi soir, ont dénoncé le congédiement de l'entraîneur Joe Paterno, comme s'il était lui-même une victime de l'horrible drame dévoilé cette semaine.

Cette démonstration ne reflète pas le sentiment général aux États-Unis, où le mythe de Paterno est déboulonné depuis le week-end dernier. Mais elle illustre néanmoins un dérapage social troublant.

Dans l'univers du football collégial américain, les grands entraîneurs sont perçus comme des demi-dieux. Ils touchent des millions chaque saison, reçoivent de généreux bonis de performance, animent leurs propres émissions de radio et de télévision, et deviennent le visage public de leur institution. Leur pouvoir est immense; leur influence, majeure.

À l'âge de 84 ans, Paterno était le président honoraire de ce clan. Plus que tout autre, il a incarné cet entraîneur roi, celui qui n'est jamais dans l'erreur, celui qu'on appelle «Coach» avec le même respect qu'on dit «Monsieur le Président» en s'adressant au chef du pays. Ce sont souvent d'excellents hommes, mais ils commettent aussi des erreurs de jugement.

En 2002, Paterno s'est gravement trompé. Son adjoint Mike McQueary lui a appris avoir été témoin d'une scène terrible dans les douches, où un garçon d'une dizaine d'années aurait été violé par Jerry Sandusky, longtemps son principal associé. Paterno s'est contenté de prévenir ses supérieurs immédiats, sans pousser l'affaire plus loin. Aux autorités, il a affirmé que McQueary lui avait simplement dit que quelque chose «de troublant», «possiblement de nature sexuelle» s'était produit.

Aux États-Unis, plusieurs commentateurs ont comparé son attitude, et celle de ses collègues, au silence de la hiérarchie catholique face aux nombreux cas d'agression. Les parallèles sont en effet nombreux. Lorsque la protection de l'institution devient plus importante que celle des enfants, les repères moraux sont clairement abandonnés.

«Avec le recul, j'aurais dû en faire plus», a reconnu Paterno, mercredi, douze heures avant son congédiement. Dans une ultime tentative de choisir l'heure de sa sortie, il a alors annoncé qu'il démissionnerait de son poste après la saison. S'il fallait un signe pour démontrer que Paterno mesurait toujours mal la gravité de l'affaire, celui-ci venait de le fournir.

En soirée, le conseil d'administration de Penn State l'a remercié, en même temps que Graham Spanier, le président de l'Université.

Quant à Jerry Sandusky, il a longtemps profité d'une formidable réputation. Coordonnateur défensif des Nittany Lions durant plusieurs saisons, il a écrit des livres de référence sur le jeu défensif. Son expertise était prisée.

À la fin des années 90, Sandunsky est venu à Montréal s'adresser à des entraîneurs dans un colloque. Son don de la communication et son esprit vif ont enchanté son auditoire. Il a aussi évoqué sa fondation venant en aide aux enfants déshérités. Ses propos ont fait forte impression. Personne n'aurait osé imaginer le côté noir de sa personnalité.

Aujourd'hui, Sandusky est accusé d'avoir agressé huit jeunes garçons sans défense au cours des quinze dernières années. Il les a tous connus par l'entremise de sa fondation.

Photo: AP

Joe Paterno

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Il est facile de banaliser la manifestation de mercredi soir, de prétendre que les fans de Paterno n'étaient qu'un groupe de jeunes écervelés en mal de sensations.

Ben Andreozzi, un avocat conseillant les véritables victimes de ce scandale, a rappelé tout le monde à l'ordre, hier. Il craint que les garçons agressés ne deviennent les boucs émissaires du congédiement de Paterno. «Ils regardent maintenant les gens défiler et manifester, a-t-il dit. Il est naïf de croire que cela ne va pas avoir un impact sur eux.»

Un organisme de soutien aux victimes de membres du clergé catholique a dénoncé cette déférence envers des figures d'autorité: «Ces étudiants sont semblables aux paroissiens qui donnent leur appui à des prêtres ayant commis des abus, et aux évêques qui sont leurs complices.»

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Le président des Alouettes, Ray Lalonde, connaît bien Paterno et Sandusky. En 1987 et 1988, il a fait partie du personnel d'entraîneurs de Penn State, une expérience hors du commun pour un jeune Québécois.

«On commençait la journée avec une réunion à 7h, dit-il. On travaillait très fort, mais c'était un honneur de faire partie de cette équipe. Aujourd'hui, je suis triste et abasourdi. Tous les anciens de Penn State sont comme moi. Tu restes collé à ton université pour la vie...»

Lalonde espère que Paterno s'expliquera plus à fond. Malgré sa peine, il sait que le conseil d'administration n'avait pas le choix, que Penn State devait se séparer de son plus célèbre employé.

«Lorque j'ai travaillé avec lui, on a célébré la 200e victoire de sa carrière. À l'époque, il n'avait subi que 44 défaites. Je me rappelle m'être demandé combien de temps encore il demeurerait entraîneur. Il occupait un poste exigeant, avec une pression énorme, et presque aucune pause...»

La carrière de Joe Paterno prend fin dans le scandale. Chris Collinsworth, analyste du réseau NBC et ancien excellent joueur de football, a résumé son héritage d'une seule phrase: «Malgré sa carrière jusque-là sans tache, on se souviendra malheureusement de lui pour ce qu'il n'a pas fait dans cette affaire.»

Pour un homme qui a tout de même accompli beaucoup, il s'agit d'une fin terrible. Mais elle est sans commune mesure avec la souffrance des victimes présumées de Jerry Sandusky.

Photo: AP

Des étudiants de Penn State en colère ont manifesté dans les rues pour protester contre le congédiement de l'entraîneur-chef de leur équipe de football, Joe Paterno.