Dans la vie des entreprises, il existe des moments charnières où la haute direction doit intervenir fermement pour corriger une situation malsaine. Et cela, au risque de briser la zone de confort de collaborateurs dévoués. C'est ce que Pierre Gauthier a fait mercredi. Le DG du Canadien s'est comporté en chef, au moment où on désespérait de le voir agir.

De manière très claire, Gauthier a invité ses gens de hockey à remettre en question leur manière de travailler. En deux phrases, il a résumé le fond de sa pensée. «À l'heure actuelle, on se retrouve devant des barrières qu'on ne semble pas capables de franchir», a-t-il dit, avant d'identifier la piste de solution: «Lorsqu'on est défié et qu'on se retrouve collé au mur, il ne faut pas avoir peur de changer.»

Afin de s'assurer de la clarté du message, Gauthier a sacrifié Perry Pearn, l'adjoint et l'ami de Jacques Martin. Du coup, celui-ci a perdu son plus fidèle allié.

Cette décision n'est pas banale. Gauthier a réitéré sa confiance en Martin, mais ses paroles et ses actes invitent clairement l'entraîneur-chef à un examen de conscience. Il s'est aussi adressé aux joueurs, un geste rare.

«Nous devons tous nous regarder dans le miroir, moi le premier, a ajouté Gauthier. Les 10 jours derniers nous ont fait réfléchir. Il n'existe pas de solutions miracle. Pour devenir plus efficace, il faut réagir rapidement, sans tout faire sauter.»

Les plus cyniques associeront les propos de Gauthier à du verbiage digne d'un cours de management 101. Ils soutiendront que la mise à l'écart d'un obscur entraîneur adjoint est une décision manquant singulièrement d'éclat.

À ceux-là, je propose d'imaginer ce scénario dans leur propre entreprise: le vice-président congédie le bras droit du directeur de service, rencontre les employés pour exiger du changement, et publie un communiqué pour exprimer son insatisfaction.

Ça jaserait un peu autour de la machine à café, non?

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Le grand ménage qu'espéraient plusieurs partisans n'a pas eu lieu. Conclusion, Pierre Gauthier jouit toujours de la confiance de Geoff Molson.

«On se parle tous les jours, a expliqué le DG. C'est encore plus vrai dans les moments difficiles. Il est mon patron et je le tiens au courant.»

Lors de sa rencontre avec les journalistes mercredi, Gauthier était en plein contrôle de la situation. Sans cacher son impatience face aux résultats de l'équipe, il n'a pas donné l'impression de craindre pour son poste.

«Je n'y pense pas, comme je ne me demande pas si le soleil se lèvera le matin. Je suis dans la Ligue nationale depuis 30 ans et j'aurais pu perdre mon travail chaque jour! Dans le hockey, ça fait partie de la job. Ça donnerait quoi d'y penser? La peur, ça ne donne pas grand-chose dans la vie.»

On ne peut jurer de rien, mais les difficultés actuelles du Canadien semblent avoir rapproché Geoff Molson et Pierre Gauthier. Chose sûre, ces deux hommes partagent la même philosophie d'affaires.

Je me souviens d'un long entretien que j'ai eu avec Gauthier lorsqu'il a quitté les Ducks d'Anaheim pour devenir DG des Sénateurs d'Ottawa au milieu des années 90. À l'époque, la corporation Disney était propriétaire des Ducks et son séjour au sein de cette entreprise l'avait profondément marqué: éthique de travail, standards de qualité, efficacité des opérations financières...

«Chez Disney, j'ai appris une façon de travailler, m'avait-il expliqué. Ne cherche pas d'excuses, mais trouve des solutions aux problèmes. Ce concept est érigé en motto au sein de l'entreprise.»

Quinze ans plus tard, Gauthier obéit toujours à ce principe. Le défi qu'il lance à Jacques Martin et à ses joueurs l'illustre bien. Les leçons apprises chez Disney sont imprégnées dans son cerveau. Geoff Molson, qui a grandi dans le milieu des affaires, partage cette façon de voir.

Un jour, peut-être, l'un ou l'autre donnera un coup de balai en pleine saison. Mais ils n'agiront ainsi qu'en désespoir de cause. Les solides finances de l'organisation leur donnent le luxe de la patience.

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Le message de Gauthier livré, une grande inconnue demeure: comment les troupes réagiront-elles à cet appel au changement?

Modifier ses façons de travailler, accepter de se remettre en cause et montrer plus d'ouverture aux idées des autres n'est pas à la portée de tous. Jacques Martin en a-t-il le goût et la capacité? Quelle sera la réaction de ses adjoints? Les joueurs accueilleront-ils de nouvelles méthodes avec enthousiasme ou cynisme?

De la bouche du grand patron, les expressions «approche différente» et «intervention de gens différents» peuvent stimuler ou inquiéter. En proposant un changement de culture en cours de saison, Gauthier prend un risque.

Bien sûr, il n'est pas lui-même sans reproches. Ses décisions estivales (nouveau contrat à Andrei Markov, embauche d'Erik Cole, confiance renouvelée en Scott Gomez, largage de Roman Hamrlik) suscitent des doutes. Pour l'instant, cela ne semble pas l'embêter. «Dans notre domaine, on va de l'avant», a-t-il dit.

Oui, Gauthier s'est comporté en chef cette semaine. Il a bousculé son équipe, qui a répondu avec deux belles victoires, dont celle d'hier, à Boston. C'est encourageant, mais le travail ne fait que commencer. Le succès sera-t-il au rendez-vous? La réponse à cette question dictera son avenir avec le Canadien. Ces jours-ci, Pierre Gauthier joue gros.

Photo: AP

Le Canadien a joué encore avec intensité, hier, au lendemain de la sortie du DG Pierre Gauthier. Chris Kelly, des Bruins, s'est heurté à Erik Cole en première période.