C'est une révolution qui s'est produite, hier, dans le petit monde du hockey professionnel. Imaginez: après avoir multiplié les efforts pour implanter la LNH dans le sud des États-Unis, Gary Bettman reconnaît que le ciment n'a pas pris dans toutes les villes.

Pour cet homme orgueilleux, si clairement associé à cette stratégie, l'échec est retentissant. Ce qui explique sans doute sa mine patibulaire durant la conférence de presse annonçant la vente des Thrashers d'Atlanta au groupe True North Sports&Entertainment, de Winnipeg.

La LNH quitte donc Atlanta, une métropole dont l'aéroport est aussi grand que le centre-ville de Winnipeg, pour cette communauté perdue dans l'immensité de l'Ouest canadien. Vue des bureaux de la LNH à Manhattan, la déconvenue est réelle.

Sans compter que ce transfert ouvre la porte à un scénario qui inquiète le circuit: le déménagement d'une autre équipe au Canada, peut-être à Québec, avant longtemps.

Bettman a commenté cette possibilité en réprimant une grimace, comme s'il était poussé vers la chaise du dentiste.

«Le cas d'Atlanta est unique, a-t-il dit. C'est la première fois en 14 ans que nous transférons une équipe. Nous continuerons de résister à ces déménagements. D'autres communautés ne doivent pas tirer de conclusion à partir des événements d'aujourd'hui. Ce serait une erreur. Les gens ne doivent pas gonfler leurs espoirs.»

La réalité, et Bettman le sait bien, c'est que le cas d'Atlanta n'est pas unique. D'autres concessions nagent en eaux troubles. Atlanta est sans doute le premier de quelques dominos qui tomberont au cours des prochaines années.

***

Mark Chipman rêve depuis 15 ans au retour de la LNH à Winnipeg. David Thomson, son partenaire au sein de True North, lui a fourni une indispensable caution financière. La fortune de sa famille, la plus riche du Canada, est évaluée à 23 milliards.

N'empêche qu'en ce jour de grande fierté, devant des milliers de téléspectateurs partout au Canada, les deux hommes n'ont guère montré leurs émotions. Seul Thomson s'est permis un commentaire venant du coeur, disant tout son attachement envers Winnipeg, le Manitoba et le Canada.

Leur réserve vient peut-être des conditions liées à cette admission à la LNH. Comme c'est la coutume, la transaction doit être approuvée par le Bureau des gouverneurs, le 21 juin.

En théorie, il s'agit d'une affaire de routine, comme lorsque les Nordiques ont été transférés au Colorado en 1995, et les Jets à Phoenix un an plus tard.

Mais puisqu'il s'agit d'un petit marché canadien, un préalable a été ajouté: 13 000 abonnements saisonniers devront être vendus au cours des trois prochaines semaines. Sinon, a laissé entendre Bettman, les gouverneurs seront réticents à donner leur accord. «Ce serait une bonne idée de les rassurer rapidement...», a-t-il dit.

Ce n'est pas tout: les amateurs doivent s'engager pour au moins trois saisons. Les meilleurs sièges nécessitent une promesse d'achat encore plus longue, de quatre ou cinq saisons, selon l'emplacement.

Un exemple: un amateur intéressé à une paire de billets de milieu de catégorie devra garantir qu'il renouvellera son abonnement jusqu'à la fin de la saison 2014-2015. Il devra aussi verser un dépôt de 1500$, et acquitter une facture de 7110$ pour la saison 2011-2012. Ses obligations totales: près de 30 000$... payables en 48 versements faciles!

Le Centre MTS (ça signifie Manitoba Telephone Services!) ne compte que 15 000 sièges. Bettman a été clair: il est suffisamment vaste, mais devra être rempli à chaque match pour que le plan d'affaires fonctionne.

Bref, le défi est clair: les gens de Winnipeg ont trois semaines pour montrer avoir les moyens de leurs ambitions. Inutile de le préciser: jamais des demandes semblables n'ont été faites en Floride ou à Phoenix.

***

Si la LNH revient un jour à Québec, les conditions seront semblables, sans l'ombre d'un doute.

Cela dit, pour que la Vieille Capitale puisse envisager ce jour, l'expérience de Winnipeg devra être couronnée de succès. Un échec au Manitoba et la LNH ne voudra, sous aucun prétexte, tenter de nouveau sa chance dans un marché canadien à bas revenus.

Je suis convaincu que les 13 000 abonnements saisonniers s'envoleront rapidement à Winnipeg. Mais si ce n'était pas le cas, ce serait terrible pour les chances de Québec.

Comment Quebecor Media pourrait-elle convaincre Gary Bettman que les choses fonctionneraient mieux à Québec? Même les meilleurs arguments de Pierre Karl Péladau se heurteraient aux insuccès du Manitoba.

La vente d'abonnements saisonniers n'est pas le seul élément déterminant: le soutien des entreprises, par l'entremise d'ententes de commandites, devra aussi être au rendez-vous. Cet appui sera nécessaire à Winnipeg, comme éventuellement à Québec, pour éviter les bains d'encre rouge.

En annonçant hier la création de TVA Sports, une excellente nouvelle pour les amateurs de sport québécois, Quebecor Media a fait un geste qui ne passera pas inaperçu au sein de la LNH.

En augmentant les revenus des Sénateurs d'Ottawa - 25 matchs seront présentés à TVA Sports -, PKP a sans doute obtenu quelque indulgence de Gary Bettman. Cela fera peut-être oublier sa maladroite contestation de l'exclusivité des matchs du Canadien à RDS.

Ce développement, jumelé à un éventuel règlement du dossier du nouvel amphithéâtre, renforcera les espoirs de Québec. Pourvu que Winnipeg passe son propre examen avec succès.

C'est bizarre, mais c'est comme ça: l'avenir de Québec dans la LNH passe par le succès de Winnipeg.