Ce fut une journée complètement folle, du rarement vu dans le folklore politico-sportif du Québec.

Mais lorsque le soleil s'est couché, hier, les gens de bonne foi, peu importe leur opinion à propos du retour de la LNH dans la Vieille capitale, pouvaient se réjouir: le débat sur le contrat de gestion du nouvel amphithéâtre, accordé par la Ville de Québec à Quebecor Media, aura lieu.

Le déblocage est survenu lorsque les règles parlementaires ont été éclaircies. Les députés inquiets de cette entente ne perdront pas leur droit de veto malgré le dépôt du projet de loi souhaité par Régis Labeaume, qui vise à stopper toute contestation juridique de l'accord. Ils pourront, dans une deuxième étape, en bloquer l'adoption.

Comment? En empêchant la tenue du vote, qui requiert le consentement unanime des membres de l'Assemblée nationale. Du coup, les raisons de s'opposer à une commission parlementaire se sont effacées. Celle-ci aura donc lieu. Elle s'annonce fascinante.

D'un côté de la table, on retrouvera Régis Labeaume, plus pugnace que jamais, déterminé à en découdre avec ses adversaires. Lorsque je lui ai parlé en fin de journée, il préparait ses lignes d'attaque.

«On veut vider la question en toute transparence, a dit M.Labeaume. Actuellement, on retrouve de tout dans l'opposition au projet: de l'anti-hockey, de l'anti-Quebecor, de l'anti-Labeaume. Ces gens-là veulent nous déstabiliser pour nous faire échouer. J'ai hâte qu'ils viennent nous expliquer leurs motivations.»

De l'autre côté, on verra Denis de Belleval, ancien directeur général de la Ville de Québec, et féroce pourfendeur de l'entente.

«Bien sûr que je participerai à cette commission parlementaire, m'a-t-il dit. Je plaide depuis le début pour être entendu. M.Labeaume n'a rien gagné aujourd'hui, seulement le droit de venir s'expliquer. On dirait que l'obtention d'une équipe de la Ligue nationale est désormais conçue comme un droit absolu...»

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Dire que MM. Labeaume et de Belleval ne s'apprécient guère relève de l'euphémisme. Tous deux dotés d'un sens aigu de la répartie, leurs propos soulèvent les passions.

M.Labeaume se demande si des intérêts économiques, inquiets du développement de Quebecor, expliquent l'opposition au projet. Il rappelle que d'autres sociétés sont actives dans le secteur des télécommunications.

Du coup, à Québec, l'attention s'est tournée vers M.de Belleval. Est-il l'agent d'un sombre complot? Il répond par la dérision: «Elvis est vivant». Plus sérieux, il ajoute: «J'ai 45 ans de vie publique derrière moi. Je ne mange pas de ce pain-là.»

Non, l'acharnement de M.de Belleval à combattre l'entente est lié à ses convictions profondes. Il ne croit pas que l'implantation d'une équipe de la LNH à Québec soit une bonne affaire pour ses concitoyens. «Sur le plan économique, il s'agit d'une exportation nette de capitaux.»

De son côté, M.Labeaume rappelle avoir été élu, par une forte majorité, sur la foi d'un engagement: construire un nouvel amphithéâtre, de façon à favoriser la venue d'une équipe de la LNH. La perspective que son travail des derniers mois soit miné par l'opposition d'un seul homme l'enrage.

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L'impact d'Amir Khadir dans les événements d'hier a été déterminant. À l'issue de sa rencontre avec M.Labeaume, le député de Québec solidaire a expliqué son désir d'entendre les parties en commission parlementaire. Mais il a prévenu M.Labeaume qu'il n'approuverait pas une loi d'exception dont l'unique objectif serait de «favoriser un partenariat d'affaires».

Peu après sa déclaration, les deux députés indépendants, Éric Caire et Marc Picard, se sont ralliés sans surprise à ce point de vue.

On ne connaît toujours pas le texte du projet de loi. Mais son libellé assurera sans doute que le contrat de gestion accordé à Quebecor est conforme aux articles pertinents des lois municipales. S'il était adopté, cela compliquerait sérieusement le défi de quiconque souhaitant contester cette entente. Il faudrait plaider l'inconstitutionnalité de la loi.

M.Labeaume est convaincu de son bon droit. «Quand la Ville prévoit une dépense, elle fait un appel d'offres, dit-il. Quand elle négocie pour toucher des revenus, elle met les gens en concurrence. C'est ce que nous avons fait avec le contrat de gestion du nouvel amphithéâtre.»

L'entente de principe intervenue entre la Ville et Quebecor Media comporte une clause d'exclusivité. Celle-ci prévoit deux délais de 90 jours pour boucler un contrat en bonne et due forme.

Si l'affaire n'est pas réglée le 7 septembre, affirme le maire, Quebecor Media ne sera plus liée par cet accord. Or, pas question de lancer les travaux préparatoires à la construction du nouveau Colisée sans avoir l'assurance que le projet sera mené à bien. M.Labeaume veut expédier rapidement une lettre à Gary Bettman pour lui annoncer que l'amphithéâtre sera érigé.

En entrevue à une station de radio de Québec, M.Labeaume a lancé: «Pensez-vous que Gary Bettman va perdre son temps à discuter avec Quebecor en nous voyant, nous autres, les zouaves, en train de nous obstiner sur l'interprétation d'une loi?»

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Tout au long de la journée d'hier, on a senti beaucoup d'émotivité dans ce dossier. En ce sens, le projet du maire Labeaume n'est pas différent de celui mené pas ses homologues dans plusieurs villes d'Amérique. Les projets de nouveaux stades financés par des fonds publics provoquent des chocs de valeurs.

La commission parlementaire permettra d'y voir plus clair. Le maire Labeaume y fera face au plus important défi de sa carrière politique.

Photo: Le Soleil

Denis de Belleval