La stratégie de Régis Labeaume est-elle en train de lui rebondir en plein visage?

La question s'impose à la suite du dernier épisode entourant la gestion du nouveau Colisée. Voici donc Amir Khadir, unique député de Québec solidaire et représentant du Plateau-Mont-Royal à l'Assemblée nationale, désormais investi d'un droit de veto dans ce dossier. Avouez que personne ne l'avait vue venir, celle-là!

En demandant l'adoption d'une loi pour interdire les recours judiciaires contre l'accord intervenu entre la Ville de Québec et Quebecor Media, M. Labeaume a invoqué l'urgence. Son forcing a ironiquement fourni une tribune privilégiée à M. Khadir.

Lorsque l'entente de principe a été conclue en mars dernier, M. Khadir l'a dénoncée en termes crus. Ses propos, bien sentis, étaient néanmoins sans conséquence. Qui s'en souciait au moment où le train devant conduire Québec aux portes de la LNH quittait la gare à pleine vitesse?

Mais maintenant que le maire Labeaume demande le consentement unanime des députés pour faire voter la loi, le jeu se renverse. Celui qui criait dans le désert devient un acteur incontournable.

Suffisait de constater l'aplomb de M. Khadir, hier, durant son point de presse télédiffusé en direct sur RDI, pour comprendre que ce retournement de situation ne lui avait pas échappé.

Aujourd'hui, M. Labeaume rencontrera M. Khadir afin d'obtenir son adhésion. Ses chances de succès sont minuscules. Sans modifications à l'accord entre la Ville et Quebecor Media, ce qui ne semble pas dans les cartes, M. Khadir lui dira non.

«Il n'est pas question que l'État québécois et les citoyens de Québec paient pour assurer la rentabilité d'un plan d'affaires à un milliardaire qui n'en a pas besoin, a dit M. Khadir. M. Péladeau est assez riche pour se débrouiller.»

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Le maire Labeaume et la députée péquiste Agnès Maltais, désormais son alliée dans ce dossier, ont soumis leur projet trop tard pour qu'il soit adopté avant la pause estivale selon les règles habituelles. De là la nécessité d'obtenir l'unanimité des députés.

Dans ce contexte, la question la plus intrigante est celle-ci: comment ces deux politiciens expérimentés ont-ils pu croire que M. Khadir donnerait son accord?

À moins d'avoir un as caché dans leur manche, ils devaient savoir que la mission s'annonçait périlleuse. Ils auraient pu attendre l'automne et procéder selon les voies normales. Cela aurait empêché M. Khadir de se retrouver maître du jeu.

Au-delà des questions liées aux termes mêmes de l'entente, le projet de loi Labeaume-Maltais pose un problème de fond. Retirer aux citoyens le droit de contester une entente devant les tribunaux ne constitue pas un geste banal. M. Khadir l'a d'ailleurs expliqué avec doigté.

«Pour évoquer une loi d'exception, il faut s'assurer qu'on ne lèse pas de manière importante d'autres droits. Et surtout, démontrer qu'il y a urgence en la demeure, que l'intérêt public supérieur nécessite l'exception.»

Le maire Labeaume n'a pas, jusqu'ici, rencontré ce test. Une de ses déclarations de lundi est néanmoins intrigante. «Ça dérange, cette affaire-là. C'est plus gros que vous pensez encore. Il pourrait y en avoir, des contestations, on est dans le milieu financier, c'est gros, cette affaire-là, on ne prendra pas de chances.»

M. Labeaume approfondira peut-être sa pensée au cours de sa rencontre avec M. Khadir. Il n'en reste pas moins que dans une société démocratique, priver les citoyens d'un droit aussi fondamental que le recours en justice doit provoquer un débat de fond.

Rappelez-vous le tollé soulevé en 2004 lorsque le gouvernement Charest, pris de panique comme l'écrivait alors mon collègue Yves Boisvert, a adopté une loi massue. Celle-ci interdisait aux citoyens établis près d'une piste de motoneige, dans les Laurentides, de contester devant les tribunaux le tort causé à leur qualité de vie. Et cela, malgré un premier jugement en leur faveur.

On peut penser ce qu'on veut des arguments de Denis de Belleval, qui veut faire déclarer nulle l'entente entre la Ville de Québec et Quebecor Media. On peut trouver ses arguments courts, mal étayés, démagogiques à la limite. Personnellement, sa thèse ne me convainc pas.

Mais veut-on vraiment, comme société, le priver de son droit de s'adresser aux tribunaux? Si le maire craint que M. de Belleval ne l'emporte, peut-être que l'entente comporte des failles; si celle-ci est aussi solide qu'il le prétend, les juges le reconnaîtront, en première instance ou en appel.

Cela dit, M. Labeaume devrait convaincre plutôt que d'imposer. Forcer la note ne constitue jamais une stratégie gagnante.

C'est encore plus vrai lorsque ces liens controversés entre le sport professionnel et les fonds publics sont en cause. Rappelez-vous les Nordiques et leur demande de casino, les Expos et leur projet de stade au centre-ville, le Canadien et ses exigences en matière d'impôt foncier...Tous ces projets ont avorté.

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Quebecor Media n'a pas commenté les événements de la semaine. Les propos de M. Labeaume laissent cependant croire que l'entreprise ne signera pas l'entente finale tant que l'incertitude demeurera.

Si M. Khadir reste inébranlable, cette période de flou pourrait se poursuivre plusieurs mois. Pour les promoteurs du projet, la tentation sera alors forte d'identifier des coupables. Ce serait une erreur.

Ils devraient plutôt revoir certains paramètres de l'entente et, minimalement, s'assurer de l'appui entier du ministère des Affaires municipales. Il s'agit d'une condition essentielle à la poursuite du projet.