La tradition a longtemps été respectée chez le Canadien. En séries éliminatoires, on enfermait les joueurs dans un hôtel de banlieue la veille des matchs à Montréal. Meilleure préparation, esprit d'équipe renforcé, on n'y voyait que des avantages.

En 1986, l'année de la Coupe Stanley surprise, Serge Savard, Jacques Lemaire et Jean Perron poussèrent l'affaire plus loin: les joueurs furent séparés de leur famille durant toute la série finale. Leur désir de retrouver la liberté explique peut-être leur victoire rapide contre les Flames de Calgary...

D'autres expériences furent moins heureuses. Un soir du printemps 1988, par exemple, trois Glorieux quittèrent l'hôtel en cachette et furent impliqués dans un accident de voiture.

Ironiquement, un des principaux objectifs de ces séjours à l'hôtel était d'éviter des incidents semblables, surtout au sein d'une équipe pleine de jeunes joueurs! Cette nouvelle, un scoop de mon collègue Réjean Tremblay, provoqua une tempête. L'idée de confiner l'équipe à l'hôtel prit alors du plomb dans l'aile.

Les années ont passé et les mentalités ont évolué. Mais les entraîneurs demeurent tentés de regrouper leur troupe dans un environnement contrôlé lorsque l'enjeu est déterminant.

Ainsi, Claude Julien aurait pu rentrer à Boston avec ses Bruins après l'affrontement de lundi, compte tenu des deux jours de repos entre les troisième et quatrième matchs. Il a préféré prendre la route de Lake Placid, convaincu que ses joueurs profiteraient de cette retraite fermée.

Alors, quelle stratégie est la meilleure?

«Au fil des années, j'ai tout essayé , répond Jacques Martin, en souriant. L'an dernier, par exemple, on a dormi à l'hôtel la veille de nos deux premières rencontres à domicile contre les Capitals de Washington. Et on a perdu ces deux rencontres...»

Tirant alors de l'arrière trois matchs à un dans la série, le Canadien a remporté une victoire étonnante dans le cinquième affrontement, à Washington. Au retour de l'équipe à Montréal en prévision de la sixième rencontre, la question s'est posée: hôtel ou pas hôtel?

«J'ai consulté les joueurs et ils m'ont dit qu'ils préféraient rester à la maison, explique Martin. Et on a gagné ce match. Cette formule nous a valu du succès au printemps dernier et on la maintient cette année. C'est ce que souhaitent les joueurs.»

***

Mathieu Darche apprécie la façon de procéder du Canadien. «Dans mon esprit, un des avantages d'un match à la maison, c'est de rester chez moi, d'être dans mes affaires! Ça me permet aussi de voir mes enfants. On est des professionnels. Rester ou non à l'hôtel, ce n'est pas ça qui nous fera gagner ou perdre des matchs.»

Après l'entraînement d'hier, les joueurs du Canadien sont donc retournés à la maison. Ils se retrouveront ce matin au Centre Bell pour un court entraînement et un repas d'équipe.

Ensuite, ils se reposeront dans le confort de leur foyer avant de remettre le cap sur l'amphithéâtre. L'organisation offre cependant des chambres à ceux qui, parce qu'ils sont pères de très jeunes enfants ou accueillent de la visite à la maison, préféreraient dormir ou faire la sieste à l'hôtel.

«Moi, j'apprécie ma routine le jour d'un match à Montréal, ajoute Darche. L'après-midi, un peu de télé et un peu d'ordinateur. Faut bien que je fasse mon commentaire sur Twitter! Ensuite, la sieste, puis la collation. Mes deux garçons sont alors revenus de l'école et je peux passer une quinzaine de minutes avec eux avant de partir pour le Centre Bell.»

***

La décision de Jacques Martin est révélatrice de sa façon de diriger une équipe.

L'entraîneur du Canadien aurait pu imposer une façon de faire mais a laissé le choix aux joueurs. Non, aucun vote n'a été tenu. Mais des vétérans comme Brian Gionta et Hal Gill lui ont fait part des préférences du groupe.

«Il faut savoir prendre le pouls de son équipe, explique Martin. L'opinion des gars est importante. Même chose pour savoir si on s'entraîne ou pas entre deux matchs éliminatoires. L'an dernier, j'ai aussi consulté mes leaders à ce sujet. Les gars préféraient un entraînement en gymnase, relaxer un peu et patiner le matin de la rencontre.»

À ce moment de la saison, la condition physique n'est plus un enjeu. Tout se joue au niveau de la préparation mentale. Les réunions d'équipe, où les responsabilités de chacun sont identifiées, prennent une importance primordiale.

À la fin des années 80, les joueurs du Canadien avaient surnommé «Alcatraz» l'hôtel de l'Île Charron où ils étaient confinés durant les séries éliminatoires.

Ce clin d'oeil à l'ancienne fameuse prison, située dans la baie de San Francisco, était amusant. Mais il fournissait une indication de leur peu d'enthousiasme face à cette retraite forcée.

L'époque a changé et des séjours aussi prolongés à l'hôtel, où les familles des joueurs devaient leur dire bonjour en vitesse dans le garage du Forum après un match, ne seraient plus acceptables.

Dans le hockey aussi, Alcatraz a fermé ses portes. Et pour Jacques Martin, pas question de les rouvrir.