Du haut des airs, peu avant l'atterrissage à Calgary, le tableau des plaines de l'Alberta balayées par le vent est déroutant.

À perte de vue, on aperçoit des champs immenses balisés par des routes rectilignes. Les arbres sont rares, les routes peu fréquentées et les maisons de ferme éloignées les unes des autres. Tout est plat, blanc et froid. Surtout froid.

Depuis plusieurs jours, un air glacial enveloppe la région. Un retour à des températures plus clémentes était prévu demain après-midi, à temps pour la Classique Héritage entre les Flames et le Canadien.

Hier, cet espoir s'est envolé. Le mercure oscillera entre -11 et -21 oC, et le vent sera de la partie. Au stade McMahon, 40 joueurs et 41 000 spectateurs seront plongés au coeur de l'hiver albertain.

On pourrait croire que cette perspective n'enchante guère les joueurs des deux équipes, habitués à évoluer dans des conditions optimales. Pas du tout. En fait, cette rencontre qui les replongera dans l'enfance les emballe. Cela reflète l'attitude des deux entraîneurs, des hommes rompus à la dure vie de la ferme.

Jacques Martin est originaire du village de Saint-Pascal-Baylon, dans la région d'Ottawa. «Ce match me rappelle des souvenirs, dit-il. Nous avions une ferme laitière et je patinais tous les jours sur un étang gelé. On allait aussi jouer au hockey chez nos voisins, qui avaient bâti une vraie patinoire, avec des bandes.»

À l'autre bout du pays, Brent Sutter, l'entraîneur des Flames, a grandi dans des conditions semblables. La ferme familiale de Viking, à quatre heures au nord de Calgary, produisait des céréales et du boeuf. Mais le hockey occupait une place prépondérante, les sept frères Sutter se disputant des matchs endiablés.

Quand on l'interroge sur le froid attendu demain, Sutter réplique d'un trait: «Un temps parfait pour le hockey!»

Critiquer Gary Bettman et la LNH constitue une activité préférée des amateurs et des journalistes. Mais sachons aussi reconnaître leurs bons coups. Aucun autre circuit professionnel ne prend autant de risques pour promouvoir son produit en pleine saison.

La Classique hivernale du jour de l'An est vite devenue un événement incontournable du calendrier. Et la Classique Héritage connaîtra sans doute un succès identique. Chose sûre, l'ambiance à Calgary est électrique.

John Collins, chef des opérations de la LNH, expliquait récemment que les revenus de commandite du match de demain seraient plus élevés que ceux de la Classique hivernale, pourtant conçue sur mesure pour le vaste marché américain. «C'est incroyable», a-t-il déclaré au réseau TSN.

La direction de la LNH semble toujours vaguement surprise que le hockey soit si populaire au Canada. Comme si leurs nombreux efforts pour enfoncer ce sport dans la gorge d'un public peu réceptif, dans le sud des États-Unis, leur en avaient fait oublier les racines.

Il est vrai que les équipes canadiennes ont souvent été une source de soucis dans les années 90. Mais aujourd'hui, en raison de la force du huard, d'une récession moins brutale qu'aux États-Unis et, surtout, de la passion sans égale des partisans pour le hockey, elles constituent un atout exceptionnel. Le succès prévu de la Classique Héritage en fournit une autre illustration.

David Desharnais vit un conte de fées. Alors que plusieurs l'avaient étiqueté à jamais comme un joueur de la Ligue américaine, voilà que le jeune homme originaire de Laurier Station, près de Québec, se retrouvera sur la formidable scène du stade McMahon, demain.

«Jouer dehors, j'ai fait ça toute ma jeunesse, dit-il. Chaque hiver, mon père construisait une patinoire à côté de la maison. J'y courais tous les jours après la fin de l'école. On jouait deux ou trois heures, je me prenais pour Mario Lemieux et on n'avait même pas froid! C'est sûr que parfois, on attrapait la grippe...»

Desharnais n'est cependant pas le docteur ès froid du Canadien. Ce titre appartient plutôt à Scott Gomez, un fils de l'Alaska.

«Mon père était dans la construction, raconte-t-il. Souvent, ses jobs l'obligeaient à travailler dehors. Avant d'aller à l'école, j'allais démarrer son auto pour que le moteur chauffe un peu. Le week-end, il n'allait pas en ski ou en motoneige. Il avait déjà eu assez froid durant la semaine!»

Gomez a reçu un conseil de son père: se trouver un travail à l'intérieur lorsqu'il serait adulte. S'il n'était pas devenu joueur de hockey, le numéro 11 du Canadien aurait voulu enseigner l'éducation physique: «Aider les jeunes, faire du sport toute la journée, l'été en vacances...»

Comme David Desharnais, Gomez a patiné des centaines d'heures à l'extérieur. «Chaque école et chaque parc avait sa patinoire. C'est là que j'ai appris à jouer.» Puis, en riant, il ajoute: «J'ai la fierté de l'Alaska en moi. Je ne prévois pas me mettre des couches et des couches de vêtements dimanche!»

Les joueurs des Flames et du Canadien auront dès aujourd'hui un avant-goût des conditions météorologiques les attendant le jour du match.

Ils s'entraîneront sur la glace du stade McMahon, un endroit de Calgary où le vent semble souffler en permanence. Les entraîneurs s'enfonceront une tuque sur la tête et la grande aventure du hockey professionnel en plein air amorcera un nouveau chapitre.

Une chose est sûre: demain, contrairement à ce qui s'est produit à Pittsburgh le 1er janvier, la pluie ne retardera pas la première mise au jeu! Les joueurs auront bien du mérite, les spectateurs encore plus.