Voici donc une entreprise aux revenus annuels de 9 milliards, dont le produit fracasse des records de popularité, qui crie à l'aide. C'est sur cette étonnante toile de fond que sera présenté le match du Super Bowl, dimanche, entre les Steelers de Pittsburgh et les Packers de Green Bay.

Les querelles entre multimillionnaires suscitent rarement la compassion du public et celle-ci ne fait pas exception. Le football de la NFL constitue le divertissement numéro un des amateurs de sport américains. Avec raison, la perspective d'un conflit de travail forçant l'annulation de la prochaine saison les déroute: comment cela est-il possible?

Les réponses à cette question sont complexes. Mais au moment où les deux parties intensifient leur campagne de relations publiques, une conclusion s'impose: les propriétaires n'ont pas réussi à relever le fardeau de la preuve. Les concessions exigées des joueurs sont exorbitantes. Ce constat est accentué par la nature même de la NFL: un sport violent, aux carrières courtes et aux contrats non garantis.

D'entrée de jeu, reconnaissons néanmoins ceci: la convention collective en vigueur comporte une aberration que les proprios dénoncent avec raison: l'absence d'un plafond salarial pour les recrues.

Le cas de JaMarcus Russell, un ancien quart-arrière des Raiders d'Oakland, en constitue une preuve éloquente. Premier joueur sélectionné au repêchage de 2007, Russell a signé un contrat lui valant un minimum de 39 millions. Il fut congédié l'été dernier après des performances catastrophiques. Ce qui ne l'a pas empêché de toucher le gros lot.

Pendant ce temps, des vétérans touchant le salaire moyen ont dû se débattre pour conserver leur poste. Les moins chanceux furent retranchés pour faire place à un joueur moins bien payé. Cela entraîne un réel problème d'équité que proprios et joueurs doivent régler.

Autre exemple: le magazine Sports Illustrated rappelait cet automne que les Rams de St.Louis ont garanti 112 millions à trois espoirs.

Des chiffres pareils inquiètent les autres organisations. Au point où, contrairement au hockey, il devient presque impossible d'échanger un haut choix au repêchage. Les équipes savent que l'heureux élu commandera un salaire extravagant... sans assurance de succès! Elles estiment que le risque n'en vaut pas la chandelle.

Si les demandes des proprios s'arrêtaient là, leur cause serait solide. Mais ils exigent aussi de revoir le partage des revenus entre la NFL et les joueurs. Leur objectif est de récupérer 1 milliard de dollars. Et pour générer de nouvelles entrées d'argent dans un marché mature, ils proposent que chaque équipe dispute deux matchs de plus chaque saison.

Les joueurs, sans surprise, ne veulent pas diminuer leur part de revenus. Et ils s'inquiètent des conséquences de cette prolongation du calendrier régulier sur leur santé. Ils souhaitent aussi améliorer leur couverture médicale et leur fonds de pension.

Au cours des dernières semaines, aucune des deux parties n'a manifesté une réelle volonté de négocier. Elles ont surtout consacré leurs énergies à soigner leur image publique.

Le commissaire Roger Goodell a donné le ton en expédiant un courriel attendrissant à cinq millions de fans sur les problèmes financiers de la NFL. Il a ensuite annoncé qu'il empocherait un salaire symbolique d'un dollar si un lock-out éclatait le 4 mars prochain. (Goodell est payé 10 millions par saison.)

Pour publiciser leur message, la NFL et l'Association des joueurs misent sur les nouvelles technologies. On pourrait presque parler des négociations Twitter!

Plusieurs fois par jour, 140 nouveaux caractères tombent sur le réseau pour appuyer la position patronale ou syndicale. Ajoutez à cela les interventions des journalistes intéressés au dossier et cela crée un environnement bouillonnant, peu propice à la négociation raisonnée.

Il faut néanmoins applaudir le sens de l'humour du porte-parole de l'Association des joueurs, George Atallah. Mardi, il a ainsi commenté la réaction triomphante de la NFL, après un jugement validant une disposition des contrats de télévision: «C'est comme déboucher le champagne après un match présaison.»

Le message était drôle, certes, mais aussi très clair: la partie ne fait que commencer.

Comment le dossier évoluera-t-il? Dans cette passe d'armes hyper médiatisée, tout dépendra de qui craquera le premier.

Cette semaine, la NFL a soutenu que les proprios sont unis comme jamais. La solidarité de leurs homologues de la LNH lors du lock-out de 2004-05 a été citée en exemple.

La NFL compte sur une carte majeure: lock-out ou pas, les équipes se partageront 4 milliards en revenus de télévision en 2011!

Cela dit, plusieurs d'entre elles ont récemment investi dans leurs installations, construisant de nouveaux stades (Jets, Giants et Cowboys) ou améliorant celui déjà existant (Kansas City). Le modèle financier suppose que des spectateurs remplissent les sièges en septembre prochain.

De leur côté, de nombreux joueurs craignent de mener une bataille qui profitera d'abord et avant tout à leurs successeurs. Une saison perdue pourrait mettre un terme à leur propre carrière, une occasion gaspillée à jamais de toucher des centaines de milliers de dollars. Ils s'inquiètent aussi de leurs avantages sociaux.

Si un lock-out est décrété le 4 mars, le principal défi de DeMaurice Smith, le directeur de l'Association des joueurs, sera de conserver l'unité au sein de ses troupes. Gros défi en perspective compte tenu de leur pauvre historique en la matière.

À court terme, la pression sera sur les joueurs. Mais si le conflit se prolonge et qu'ils demeurent solidaires malgré l'absence de chèques de paie, ce sera au tour des proprios de regimber. Et Roger Goodell devra à son tour calmer son groupe. Sa mission ne sera pas plus facile.