Fallait le voir, hier, sur les lignes de côté, pendant que son équipe faisait la leçon aux Patriots de la Nouvelle-Angleterre, jusque-là grands favoris pour remporter le Super Bowl. Son débardeur noir et son col roulé blanc ne cachaient rien de son bedon, énorme, mais pas autant que son cran, absolument gigantesque.

Fallait le voir courir en boitillant vers la zone des buts et sauter dans les bras de ses joueurs après le touché assurant la victoire de ses Jets: «Yeah, baby!» a-t-il crié, dans un mélange de joie et, sûrement, de soulagement.

C'est qu'il a joué gros, l'ami Rex, gros comme rarement l'entraîneur d'une équipe professionnelle, tous sports confondus, ne l'a fait en prévision d'un match éliminatoire. Avec le je-m'en-foutisme qui le caractérise, il a jeté à bout de bras le manuel de coaching 101 qui, dans son article premier, énonce un principe vieux comme le sport: ne jamais provoquer son adversaire.

Lundi dernier, dans son premier entretien avec les journalistes en prévision du grand rendez-vous d'hier, Rex Ryan n'a pas épargné ses rivaux. De son franc-parler stupéfiant, il a nargué Bill Belichick, gourous des entraîneurs de la NFL, et Tom Brady, roi des quart-arrières.

«Belichick? Un grand entraîneur, qui ira au Temple de la renommée et passera à l'histoire comme un des meilleurs, a-t-il lancé. Mais dimanche, j'entends être meilleur que lui. S'il commet une seule erreur, nous allons le battre.

«Brady? Avec ses singeries sur le terrain à notre dernier match, il s'est moqué de nous. Brady, c'est Brady. Il est comme ça. Je n'aime pas ce type de comportement. Personne n'aime ça.»

Le 6 décembre, en Nouvelle-Angleterre, les Patriots ont rossé les Jets 45-3. Selon Ryan, Brady a manqué de respect envers les Jets en montrant ses joueurs du doigt après une passe de touché. Il s'est assuré que personne ne l'oublie.

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Le match d'hier terminé, Belichick et Ryan se sont chaudement donné l'accolade sur le terrain. Malgré les déclarations incendiaires des derniers jours, le match s'est joué dans les règles. La direction de la NFL avait prévenu les deux équipes qu'elle ne tolérerait aucun coup illégal. En cas d'infraction, les sanctions s'annonçaient sévères. Le message a été parfaitement entendu et le match a été enlevant.

N'empêche que les Patriots n'ont jamais été véritablement dans le coup. Ils semblaient figés, comme si l'attitude des Jets avait brisé leur concentration. Frappé durement à plusieurs reprises, Brady n'a pas affiché son aisance habituelle. On l'a senti démuni face à la défense des Jets, ce qui a sûrement apporté beaucoup de bonheur à Ryan, qui ne blaire manifestement pas le quart des Patriots.

Difficile d'imaginer deux hommes si différents. La femme de Brady est une mannequin brésilienne, sophistiquée et célèbre dans le monde entier; celle de Ryan dévoile ses fantaisies sexuelles dans des vidéos en ligne sur YouTube.

Brady adore faire un saut sur Broadway pour assister à des pièces de théâtre, même lorsqu'un match de football mettant en cause ses futurs adversaires est présenté à la télévision. Pour Ryan, il s'agit là d'un non-sens. «Peyton Manning n'agirait jamais ainsi», a-t-il tranché.

Oui, tout les différencie, jusqu'à la tenue vestimentaire. On imagine mal Ryan soigner sa garde-robe. Brady, au contraire, est une véritable carte de mode. Le New York Times a noté samedi les compliments que son flair en la matière lui avait valus sur le site spécialisé AskMen. «Brady ose mêler le look traditionnel américain, incarné par le veston bleu, avec une touche de minimalisme européen», disait-on.

Le «minimalisme européen»? Pour Ryan, cela n'a sans doute rien à voir avec la mode, mais plutôt avec une petite portion de frites lorsqu'il s'arrête dans un McDo de Londres ou Paris.

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Bill Belichick et les Patriots n'ont pas voulu répliquer aux provocations des Jets durant les jours précédant le match. Seul le receveur Wes Welker a fait entorse à la règle, utilisant 10 fois le mot «pied» en commentant le travail de Ryan à la barre des Jets. De façon suave, il s'est ainsi moqué de l'entraîneur des Jets et de sa femme qui, selon une histoire ayant fait le tour de l'Amérique, entretiennent un intérêt spécial pour cette partie de l'anatomie dans leurs rapports amoureux. Belichik n'a pas apprécié cette entorse à la règle et il a laissé son as receveur sur le banc pour la première série de jeux du match.

Ryan ne partage pas cette philosophie. Il a refusé de sanctionner Antonio Cromartie après que son demi de coin vedette eut utilisé des termes orduriers pour qualifier Brady. L'appui de son entraîneur, fort discutable mais bien réel, a donné des ailes à Cromartie. Il a multiplié les gros jeux, brisant notamment l'élan des Pats lors d'un quatrième essai peu avant la fin du match.

Cette victoire convaincante des Jets n'enlève rien aux succès remarquables de Belichick et Brady au cours des dernières années. Mais hier, ils ont été déclassés par Rex Ryan et les Jets. L'entraîneur des Patriots a fait des choix curieux, notamment une tentative ratée de jeu truqué sur un botté de dégagement à la fin de la première demie. Mais sa plus grave erreur, il l'a sans doute commise le 6 décembre, en ne disant pas à ses joueurs de lever le pied lors de leur victoire écrasante contre les Jets. Le premier manque de respect se situe sans doute à ce moment.

Rex Ryan n'est pas toujours drôle et son équipe a été mêlée à plusieurs controverses cette saison. Mais hier, la grande gueule du football américain a remporté une belle victoire.

Photo: Reuters

Le match d'hier terminé, Bill Belichick et Rex Ryan (à droite) se sont chaudement donné l'accolade sur le terrain. Malgré les déclarations incendiaires des derniers jours, le match s'est joué dans les règles.