Bon, comme si les choses n'allaient déjà pas assez mal dans le monde, avec la Syrie et les nids-de-poule, voilà que l'Archevêché de Montréal a relayé une invitation faite aux parents de retirer leurs enfants des cours d'éducation sexuelle que les écoles québécoises s'apprêtent à donner.

L'Église...

Le sexe...

Les enfants.

Voilà une sainte Trinité qui peut faire monter dans la gorge un chapelet de jurons qu'il ne serait pas catholique de reproduire ici...

L'histoire commence donc avec la publication d'un livre signé par un abbé et par un médecin, Robert Gendrau et Riouf Ayas, qui invite les parents québécois à retirer leurs enfants de ces cours, afin de respecter « la pudeur naturelle des enfants ».

Et l'histoire est devenue nationale quand La Presse, jeudi, a rapporté que la directrice des communications de l'Archevêché de Montréal, Erika Jacinto, avait relayé la nouvelle du lancement de ce livre, le lieu où on peut l'acheter ainsi que son prix, en soulignant que ledit livre préconise que les parents retirent leurs enfants du cours d'éducation sexuelle. Derniers mots du communiqué de l'Archevêché : « Les cours commencent déjà partout au Québec, il n'y a plus de temps à perdre. »

Le livre vendu en ligne contient des énormités qui ne sont pas surprenantes quand on mélange religion et sexualité, comme ces perles : 

« Encourager une initiation précoce à la sexualité pose question car cela peut attaquer la pudeur naturelle des enfants, déranger leurs sentiments d'intimité personnelle et détruire leur belle innocence. »

« En premier lieu il faut développer chez l'enfant la pudeur, une pudeur saine et qui serait une première ligne de défense [contre les agressions sexuelles]. »

« Il faut apprendre à ne pas en dire plus que ce que l'enfant veut savoir. »

« Les filles seront toujours plus portées à jouer avec des poupées que les garçons. »

L'abbé Gendreau considère aussi qu'on peut assimiler à une « agression » le fait d'enseigner aux enfants en bas âge quelles sont les « parties sexuelles »...

Le premier ministre François Legault a rapidement sonné le tocsin pour annoncer qu'il n'y aurait pas d'exemptions au cours d'éducation sexuelle. Le ministre de l'Éducation Jean-François Roberge a fait la même chose.

Ces rappels à l'ordre sont justes et bons, mais l'expérience ontarienne nous a appris que les parents qui font preuve de zèle religieux peuvent être royalement emmerdants dans leur croisade face à l'éducation sexuelle.

Tout au long de la décennie des années 2010, l'Ontario s'est heurté à de tels mouvements de boycottage, parfois même de masse, quand la province a voulu dépoussiérer l'enseignement de la sexualité dans les écoles.

La question ne mobilise pas une majorité d'Ontariens. Mais ceux qui se sont mobilisés contre l'initiation aux enjeux du mariage gai et de l'homosexualité, du consentement et de l'éveil à la sexualité l'ont fait avec une passion telle que c'est devenu un enjeu partisan : le Parti conservateur ontarien a promis de revoir ces cours...

Ce qu'il a fait, une fois élu, l'an dernier.

En Ontario, les parents religieux - de toutes les confessions - ont chanté la même chanson que les parents chrétiens sont invités à chanter au Québec : l'éducation sexuelle, ça se fait à la maison, pas à l'école...

En décembre, je suis allé visiter la classe de psychologie de la sexualité donnée par l'enseignant Patrick Doucet, au cégep Marie-Victorin, pour un reportage à venir.

Je l'ai contacté, hier, pour lui demander ce qu'il pensait de cette résistance aux cours d'éducation sexuelle encouragée par l'Archevêché de Montréal.

Bien sûr, il m'a dit et répété que les cours d'éducation sexuelle étaient importants. Quand les jeunes débarquent dans ses cours au cégep, après 11 ans de scolarité primaire et secondaire, M. Doucet voit bien que l'éducation sexuelle est rudimentaire, même de nos jours.

« Mais il y a aussi une réflexion à avoir sur le manque de critique face au religieux dans le parcours scolaire. » 

« Le but n'est pas que les élèves perdent leur religion à l'école, parce que la religion n'est pas mauvaise en soi. Mais les religions présentent leurs vérités comme étant des vérités supérieures, et il faut leur apprendre à critiquer cela. » - Patrick Doucet

Ce que le cours d'Éthique et culture religieuse au secondaire ne fait pas, rappelle-t-il.

« J'enseigne dans un cégep où les élèves proviennent de milieux multiethniques où la religion est importante. Je dirais que 50 % de mes élèves ont grandi dans des familles où c'est important. Et quand, dans mon cours, j'aborde des thématiques qui vont à l'encontre de la vérité religieuse... C'est, pour plusieurs, la première fois qu'ils sont exposés à un discours qui remet en question la valeur des textes religieux comme source de vérité. »

Masturbation, homosexualité, relations sexuelles avant le mariage, virginité : les religions ont là-dessus des vues moyenâgeuses sans rapport avec la réalité moderne.

« Mais bien souvent, des jeunes issus de familles religieuses n'ont jamais pu parler de ça. Bien souvent, ils se font dire par leurs parents que l'école, c'est fait pour apprendre ce qu'il faut apprendre pour fonctionner en société, mais que la vérité, la vraie vérité, elle vient de la religion... »

Pour Patrick Doucet, les tabous religieux et sexuels ont la couenne dure et ils persistent en parfaite symbiose. « La sexualité et la religion, ce sont des sujets tabous. Et l'école reflète ces tabous. »

D'une part, dit-il, l'école n'enseigne pas les rudiments d'une pensée critique face aux religions.

Et d'autre part, l'école a de la difficulté à enseigner l'éducation sexuelle, qui s'implante à la va-comme-je-te-pousse dans les classes, par des enseignants qui ne sont pas des spécialistes de la chose et qui manifestent déjà leur malaise à enseigner un sujet pour lequel ils n'ont - bien souvent - pas été formés adéquatement.

« On part de loin », constate Patrick Doucet...

Dans son dernier ouvrage, Doit-on vraiment parler de tout ça ?, M. Doucet fait la nomenclature d'un tas de bêtises rétrogrades concernant la sexualité dans la Bible et le Coran. Puis il pose la question : « Pourquoi est-il encore si normal de prendre au sérieux les livres qui contiennent ces "sagesses" et ceux qui en font la promotion ? Je sais bien qu'on n'accorde pas la même valeur à tous ces versets, mais ce sont tout de même les condamnations bibliques et coraniques qui alimentent le plus l'homophobie à travers le monde. »

L'État n'a pas à dire aux religions comment gérer ses affaires internes. L'État peut inculquer aux enfants et aux adolescents un minimum de sens critique face aux « vérités » des religions.